samedi 31 décembre 2016

Bonne Année

Noël 2016 s’est éloigné doucement. Rêves de papiers froissés et étoiles scintillantes dans la nuit vont bientôt céder la place à l’aube nouvelle. Comme au seuil de chaque année. Le grand ordonnancement de la vie sur terre, le passage des saisons, me direz-vous,  puisque la fête de Noël  c’est aussi la célébration du solstice d’hiver, de la renaissance de la lumière. La résolution d’un cycle. Certes, mais l’année à venir n’est en rien ordinaire. D’abord par ses enjeux politiques, avec des échéances électorales majeures dans notre pays. Ensuite, parce qu’elle s’inscrit dans la lignée du 7… Soit un chiffre considéré comme déterminant dans de nombreuses cultures, des peuples d’orient et d’occident, toutes croyances confondues. L’union des symboliques par excellence...  Chez les Dogons, sept représente la perfection humaine. Chez les Egyptiens, sept était le signe de la vie éternelle. Alors, quelques exemples pour illustrer ce chiffre clef, exemples empruntés  au quotidien comme au plus spectaculaire des éléments : les sept jours de la semaine, les sept collines de Rome et de Washington, les sept couleurs de l’arc en ciel, les sept merveilles du monde, les sept continents ou les sept océans figurés dans la couronne de la statue de la liberté, le 7ème art, James Bond l’invincible héros, également nommé 007… Si à ces « monuments », j’ajoute le chat et ses 7 vies présumées, vous voyez bien qu’il y a comme de la magie dans l’air, même si sept, c’est aussi l’âge de raison, d’une forme de sagesse. Pour les jeunes de 7 à 77 ans ?

On peut bien sûr faire fi des symboles dans nos vies modernes et laisser cela aux poètes et aux esprits imaginatifs. Estimer que l’interprétation des signes relève de l’oracle divin, ou encore de la diseuse de bonne aventure plongée dans sa boule de cristal. Hergé n’en comptait-il pas sept dans les  aventures de Tintin ? On  peut aussi se saisir de l’opportunité offerte par l’arrivée de 2017 pour changer de regard sur un monde, le nôtre, qui ne tourne pas toujours bien rond. Chausser des bottes de sept lieues pour aller voir ailleurs, comme l’ont fait Cyril Dion et Mélanie Laurent dans le film « Demain ». S’inspirer de leurs solutions, rapportées d’ici et là-bas, apprendre à partager les ressources de notre planète, tout en préservant ses richesses et sa beauté. Penser « après-demain ». Ouvrir nos chakras mentaux. Tiens, curieusement, là encore il y en a sept…

On peut également découvrir le dernier livre de Tristan Garcia, justement intitulé 7. Sept histoires, sans lien apparent les unes avec les autres, mais guidés par la main de leur auteur, le laisser nous  entrainer à sa suite, sur ses chemins fantastiques. 
Un extrait du récit intitulé "Hélicéénne" : 
« Il ne s’agit pas de voyager dans le temps, seulement de court-circuiter la mémoire. Ce n’est pas de la science-fiction. En réalité, tous les états d’un système connecté tel que l’ordinateur ou le cerveau persistent, pourtant ils sont ordonnés de manière que toutes nos versions aient le sentiment de ne faire qu’une : la dernière. C’est ce qu’on appelle le sentiment de l’identité personnelle (…) Chacun de nous est un peuple, un parlement, une petite démocratie. L’enfant, l’adolescent, l’adulte discutent dans notre tête. On habite à plusieurs sous notre peau, et on peut redevenir celui qu’on veut. Je crois que c’est à ça que sert l’hélicéenne. »

Et puis s’il faut revenir à la politique, impossible de ne pas évoquer les primaires citoyennes, celles de la gauche et des écologistes, en janvier. Parce que le débat d’idées continue d’intéresser les français et qu’ils sont largement favorables au principe des primaires, mais aussi, et là je suis certaine que vous me voyez venir…. les candidats à cette primaire sont au nombre de 7 ! Six hommes et une femme, de sensibilités différentes, mais animés d’une même envie de se confronter à la réalité du paysage politique. Il faut un certain panache pour se présenter ainsi aux suffrages, aux petits calculs qui ne manqueront pas de se faire jour à cette occasion. Et chacun de prendre la peine de tourner sept fois sa langue dans sa bouche avant de parler… Car, une nouvelle fois, nous ne sommes pas à l’abri d’une surprise quant au résultat final. Concernant l’élection présidentielle, son issue est tout aussi incertaine. Voir le Front National arriver aux portes du pouvoir ? Un des possibles et inquiétants scénario. « En marche » être la révélation de 2017 ? Une des hypothèses pour le futur quinquennat. L’union de la gauche revenir en force ? Quoiqu’il en soit, cette année encore, rester curieux du lendemain, de ce qu’il adviendra de nos vies et de notre potentielle emprise sur ce présent en devenir. Pour les nostalgiques  du septennat, il faudra attendre le passage éventuel à une sixième république, qui, espérons-le, ne prendra pas 7 ans de réflexion


Et pour finir en beauté sur cette planète que le Petit Prince découvrit un jour comme la septième de l’univers, bonne année à toutes et à tous ! Sept fois.

dimanche 4 décembre 2016

« Lyon à l’italienne »

Plus de 200 ! Ils étaient  nombreux à avoir fait le déplacement des quatre coins de la Métropole lyonnaise jusqu’à la mairie du 3ème arrondissement en ce premier vendredi du mois. Au dehors, un froid sec,  piquant, presque digne d’un  8 décembre... Une fois franchi le seuil du 215 rue Duguesclin, et grimpé l’escalier d’honneur, des tables jonchées de panettoni  invitaient chacun  à célébrer « Lyon à l’Italienne ».
Une initiative guidée par un élan de géné- rosité envers les sinistrés d’Ombrie : pour chaque panet- tone vendu, deux euros reversés à une association caritative.

Dans la salle Brouillard, les visiteurs s’installent, certains se saluant au passage, des habitués de la Maison des Italiens pour la plupart. Vous savez, cette maison de la rue du Dauphiné dont je ne me lasse pas de vous parler, de saison en saison … comme des racines qui nous unissent et ne demandent qu’à s’épanouir. .. 
Certains dans l’assemblée connaissent déjà le livre de Jean-Luc De Ochandiano  ou s’apprêtent à le découvrir traduit en langue ita- lienne. D’autres encore, passionnés par l’histoire de l’immigration à Lyon, et plus précisément  celle de la Guillotière, fameux lieu de brassage des cultures et des mémoires, ont simplement poussé la porte de la maison commune. Sans façons. Quoique d’horizons divers, les uns et les autres sont venus écouter Jean-Luc De Ochandiano raconter comment  les populations transalpines se sont sédentarisées au fil du temps et des différentes vagues d’arrivants. Il faut dire que notre conférencier maitrise son sujet : les Italiens à la Guillotière de 1850 à 1980. Alors, après quelques mots d’accueil à l’adresse du public, Jérôme Maleski et moi-même lui cédons bien volontiers la parole.

Au travers de termes  choisis, de photos d’ar- chives, d’anec- dotes,  les ima- ges du passé surgissent et revivent : ici, un musicien am- bulant accom- pagné de son « piffero » , sorte de petite flûte ; plus loin, l’artisan figuriste vendant ses statuettes au passant, ou encore le montreur d’ours. Une culture qui descend dans  la rue et nourrit l’imaginaire. Avant 1850, la Guillotière était encore un faubourg indépendant, la vie y était bien moins chère qu’ailleurs. Le logement abordable facilitait les mouvements de population, le plus souvent des saisonniers, des paysans et enfin l’arrivée des premiers ouvriers des Brotteaux. Mais l’endroit n’était pas très sûr et pas très fréquentable.

A partir de 1880, et le grand plan d’ur- banisation de La Presqu’île, d’autres géné- rations  d’ita- liens venus bâtir et embellir la ville, ouvrent  de petits commer-ces à la Guillotière, épiceries ou cafés. Des endroits  où il faisait bon se retrouver après le travail, et parler politique. Des entreprises du bâtiment s’y implantent  comme les établissements Denis Cerutti  au 5 rue Bonnefoi,  le siège actuel du Centre Social. Quelques réussites, même modestes. Pour autant, l’histoire de ces hommes ne fut jamais facile. Dans les périodes de tension économique et sociale, l’italien redevient  l’étranger, celui dont on se méfie et qu’on finit par chasser. Deux exemples frappants : à la fin du 19ème siècle, période de crise et de récession, on refuse aux italiens l’accès aux chantiers,  pour favoriser l’emploi d’ouvriers français. Ils deviennent de vulgaires « macaronis », et sous ce vocable méprisant des  victimes de la xénophobie ambiante.

Autre épisode marquant, le 24 juin 1894, avec l’assassinat du président Sadi Carnot, perpétré à Lyon par un anarchiste du nom de Santo Geronimo Caserio.  De l’auteur de ce geste, la foule en colère ne retiendra que l’origine, italienne. Plusieurs jours de représailles s’ensuivront, et la rive gauche du Rhône, en particulier la Guillotière et ses commerces, seront dévastés aux cris d’ « A bas l’Italie » ou « A l’eau les macaronis ». Des menaces à peine voilées... Entre les deux guerres, c’est le fascisme et Mussolini qui jetteront hors d’Italie les opposants au régime. A la Guillotière, ces réfugiés politiques, souvent des communistes,  animent la Maison du peuple, la Casa del popolo,  qui s’élevait en lieu et place de l’actuelle école Painlevé. Le 6ème congrès du PCI s’y tiendra clandestinement en  1926, en présence de Gramsci.

Une époque qui nous rappelle furieusement la nôtre, à la croi- sée des che- mins… Et qui ravive bien des souvenirs  à ceux dont le parcours familial et personnel rejoint celui des protagonistes de « Lyon à l’Italienne ». Beaucoup étaient prompts  à s’en émouvoir vendredi soir et à s’inquiéter de l’avenir de leurs enfants et petits-enfants. De la fin d’un monde. D’autant plus quand rôde en Europe le fantôme des années 30, et plane la menace du « non » à Mattéo Renzi lors du référendum  en Italie.

Alors, au moment de partager le verre de l’amitié, c’est le traditionnel « facciamo un brindisi » qui était sur toutes les lèvres, avec dans le rôle du chef de chœur Danilo Vezzio, l’infatigable défenseur de la Maison des Italiens de Lyon et de la fraternité entre les peuples. C’est d’ailleurs sur le rôle social des associations italiennes nées après la seconde guerre mondiale que la conférence s’est achevée.

Une prestation réussie pour Jean Luc De Ochandiano que je remercie de m’avoir genti- ment confié ses notes, très utiles pour la rédac- tion de cet article. Pour en savoir plus, il suffit de se référer au livre paru aux éditions Lieux Dits, et disponible en librairie. En prime, parce que cette histoire est aussi la mienne, celle d’une petite-fille d’immigré italien, comme un(e) lyonnais) sur quatre, voici ci-dessous les paroles du chant des brindisis. A accompagner d’un morceau de panettone, s’il en reste…  Et promis, on se retrouve prochainement  pour un nouvel épisode de la saga « Maison des Italiens » !

Alla salute dei nostri padri
Facciamo un brindisi
Facciamo un brindisi
Alla salute dei nostri padri
Facciamon un brindisi, … 
In socièta

A la santé de nos pères (de nos ancêtres)
Portons un toast
Portons un toast
A la santé de nos pères
Portons un toast...
en société (en bonne compagnie)  


vendredi 25 novembre 2016

Un brin de poésie, en ces jours gris …

Recette pour voir fleurir un cœur d’artichaut, seul ou en bouquet (même quand on n’a pas de jardin, même en hiver) :

Choisir en faisant son marché un artichaut de taille régulière, dont les feuilles-pétales forment une jolie corolle. Le disposer dans un vase, ou un autre récipient, sans eau, et le conserver ainsi, à l’abri de la chaleur et de la lumière, jusqu’à apercevoir en son centre les premiers brins de couleur bleue. Je dis bleu mais cela peut aussi bien être parme ou mauve. Cela doit dépendre de la variété de l’artichaut et de sa terre de culture, Camus de Bretagne ou petit violet provençal. En réalité, autant de nuances que d’espèces botaniques dont la délicate améthyste.

A ce stade de la floraison, suivre l’évolution quotidiennement jusqu’à ce que le cœur entier soit recouvert de filaments de couleur. Normalement, quelques jours suffisent à l’éclosion.
Il n’y a maintenant plus rien à faire, sinon à admirer le résultat, surprenant, sans oublier qu’à ce niveau de maturité, l’artichaut est devenu impropre à la consommation…

Il va de soi que l’opération peut être renouvelée à volonté, enfin tant que dure la saison de l’artichaut, et que le cœur vous en dit… C’est souvent un spécimen oublié dans une arrière-cuisine qui, le premier, offre la surprise de cette jolie métamorphose. Faisant penser à ces plantes assoiffées par la main d’un jardinier distrait ou un rien cruel : craignant de mourir, leur fleuraison n’en est que plus belle.

Si vous avez la chance de vous promener dans la campagne bretonne, à la fin de l’été, vous pourrez voir fleurir l’artichaut, en plein champ, tête haute, auréolé d’un feuillage gris-vert se découpant finement sur l’horizon. Dans la région de Milan et en Vénétie, non content de le manger cru ou cuit, ou d’admirer ses boutons floraux, on en extrait un certain nectar à la douce amertume et aux tons ambrés : le Cynar, inspiré du latin, cynara scolymus, nom savant de l’artichaut.

Si Catherine de Médicis l’emporta dans ses bagages en quittant Florence pour la cour de France, c’est peut-être que sa réputation de remède à la mélancolie n’était pas usurpée. A défaut, c’est un excellent remède aux crises de foi.

Désormais, en employant l’expression, « avoir un cœur d’artichaut », vous penserez plus à la plante fleurie qu’à un individu au cœur trop tendre. Restez tout de même sur la défensive si vous tentez l’expérience avec son cousin, le chardon, autre type d’astéracée, dont la floraison ajoute à la couleur beaucoup de piquant…

S’il en était des idées comme de l’artichaut. Les oublier un temps pour les voir renaitre, plus éclatantes et vivaces. Encore faudrait-il garder la main légère en les remisant, et ne pas les laisser mourir, faute de soins. Gare aux étourdis et aux négligents, novices ou défricheurs impénitents. Ils pourraient se voir privés du fruit de leur réflexion, la plus habile soit-elle…

« Il faut cultiver notre jardin », disait Candide. Pour le bonheur de faire refleurir les pensées et de les cueillir au petit matin, pleines de rosée ? L’espoir est permis aux jardiniers audacieux…


jeudi 3 novembre 2016

Moi, Ken Loach

Dave Johns dans le rôle de Daniel Blake
On s’était donné rendez-vous devant le cinéma, rue Berthelot. Un quart d’heure avant le début de la séance. Le temps de prendre les billets et de se mettre dans le rang. En arrivant ce dimanche-là, on a tout de suite compris qu’on était nombreux à avoir eu la même idée… Pas seulement à cause des vacances, du changement d’heure ou encore du long week-end de la Toussaint. L’effervescence dans l’air indiquait que le film avait déjà trouvé son public, peut-être même avant sa sortie en salle. Les gens continuaient d’affluer et, dans le hall, la file d’attente serpentait maintenant des caisses aux escaliers. Il fallait se rendre à l’évidence, la séance était compromise, à moins d’accepter de se retrouver assis, le nez à un mètre de l’écran de projection. Position assez inconfortable au demeurant. Qu’à cela ne tienne, la soirée du lendemain était libre. Il faudrait revenir avec un peu plus d’avance sur l’horaire. On avait vraiment envie de le voir ce film…

Cinq mois plus tôt, il remportait la Palme d’or au Festival de Cannes. Une seconde palme pour son auteur, le cinéaste qui a fait des « déclassés » des personnages universels, des héros du quotidien. Des hommes et des femmes qu’on n’oublie pas de sitôt. Grâce à l’œil de Ken Loach. Même si d’aucuns, dans sa bataille, le considèrent  un peu comme le « dernier des Mohicans ».

Le lendemain soir, moins de monde devant le cinéma. Après le rituel de présentation de la carte d’abonnement et l’annonce par le guichetier du nombre de places restantes avant son renouvellement, nous voilà, le sésame en main, bien placés dans la file, à attendre que la salle se vide du flot des spectateurs de la séance précédente. Autour de nous, les gens bavardent gentiment : « Non, on est restés à Lyon, on bougera plutôt autour du 11 novembre », « Et chez vous, ça va ? Juliette est bien rentrée ? Oui, et elle était ravie de son séjour ... » Public d’habitués, de cinéphiles, jeunes retraités actifs, comme souvent au Comoedia,  mais aussi des étudiants, des couples, des petits groupes d’amis. Tous prêts à embarquer ensemble pour deux heures ou presque de « synchronisation des consciences », selon la formule empruntée à Bernard Stiegler. Allez, encore cinq minutes et on pourra présenter nos tickets…

On est dans la grande salle, la 1. Je me dis au passage que ce serait bien de lui donner un nom, au lieu d’un numéro, impersonnel. Quelques propositions me viennent à l’esprit avant que la nuit n’emplisse soudain l’espace, mettant fin aux chuchotements, et aux allées et venues. C’est à un certain Daniel Blake de faire son entrée… 1h et 39 minutes plus tard, on sort de là un peu sonnés. Des spectateurs tardent à quitter leur siège, dans un silence respectueux, émus.

C’est dire si l’histoire de cet homme, ex-charpentier, broyé par une administration délivrant du « process » et rien d’autre, dressant des murs entre elle et les individus, est implacable. Daniel Blake se revendique avant tout comme citoyen, « pas un client, pas un usager ». Un citoyen avec des droits et des devoirs. Ses devoirs, il s’en acquitte. En retour, il attend de l’état la reconnaissance de son statut d’invalidité. Ses anciens collègues, ses voisins de palier, tous essaient de s’en sortir comme ils peuvent, de survivre, en s’entraidant. L’art de la débrouille, l’économie parallèle parfois, faute d’un vrai travail. Daniel s’y refuse. C’est un honnête homme. Le désarroi de Katie, jeune mère célibataire, rencontrée à Pôle emploi - enfin dans la version anglaise, semi privatisée -, va grossir sa révolte face à un système particulièrement  inique. La séquence de la banque alimentaire est terrible. J’avoue avoir pleuré. Une première fois.

La fin du film est sans appel. D’après les critiques, Ken Loach s’est élevé au rang de Dickens dans sa peinture sociale, sans jamais tomber dans l’écueil du misérabilisme. Ici, les fantômes de l’Angleterre victorienne viennent encore se heurter au réel de nos sociétés post-industrielles, et à leur cortège de laissés pour compte. Les associations caritatives pallient au manque de tout : nourriture, vêtements, produits d’hygiène.

J’ai pleuré une seconde fois en écoutant les derniers mots de Daniel Blake, lus par Katie. De honte, de tristesse, et de colère mêlées. Merci Ken Loach pour ce regard acéré sur le libéralisme et pour cette empathie envers les plus humbles, fidèles sujets de sa majesté ou pas.


Et pour ces larmes aussi ...

Un avant gout avec la bande annonce du film :

dimanche 23 octobre 2016

Rencontre avec une femme de goûts. ..

Jeudi 20 octobre 2016. Il fait beau à Lyon. Un franc soleil baigne les rues de la Presqu’île et rosit les façades des immeubles haussmanniens, le long du Rhône.

C’est le début des vacances scolaires. Pas de pause au programme des prochains jours même si le rythme de travail faiblit doucement.  Pourtant, je presse l’allure, et ce n’est pas pour me rendre à une réunion à l’Hôtel de Ville, mais à un rendez-vous un peu particulier…  Car aujourd’hui, voyez-vous,  j’ai rendez-vous avec Mademoiselle Nothomb. Juliette de son prénom.  Nous arrivons presque ensemble, à l’heure dite, et nous nous installons après avoir commandé un café. Enfin, ce sera plutôt un thé pour Juliette. L’endroit est confortable, cosy, parfait pour une conversation dont le sujet principal sera : mon invitée.

Crédit Photo France Dubois
Elle a posé son sac, un grand sac à dos en forme de mappemonde. Je pense bien sûr aux nombreux pays où elle a vécu pendant son enfance.  Une fille de diplomate, forcément.  Je trouve amusant qu’elle se soit fixée, ici à Lyon, il y a 17 ans, en choisissant sur la carte une grande ville proche de tout, laissant à Bruxelles ses activités professionnelles d’alors. Tout en travaillant à distance pour un journal belge, à la rubrique cuisine, la grande passion de Juliette. Elle me raconte comment, enfant, elle regardait faire sa mère, reproduisant ses gestes à mesure. Plus tard, pendant ses années d’étudiante à Bruxelles, elle régalera ses amis qui lui fourniront parfois la matière première nourricière. ..

Pour Juliette, la cuisine n’est pas le fruit du hasard. Il y a la base, des codes à connaître, la nécessité de comprendre le langage des mets avant de mélanger  leurs saveurs. Un peu comme en littérature. Un style, une signature, c’est une savante  composition. Du  travail autant que de l’inspiration. Et la « cuisine fusion », cet art de brasser les cultures dans l’assiette, ne se pratique pas d’un seul coup de baguette magique !  Elle a déjà un joli parcours à son actif  Juliette Nothomb, de La cuisine d’Amélie, 80 recettes de derrière les  fagots, son premier ouvrage,  à Carrément biscuits (2012), où elle  livre le secret de sa fameuse pâte à spéculos. Elle m’a avoué qu’en Belgique il en existait  presque autant de recettes que de familles. Une affaire de vergeoise, de farine, et un certain dosage d’épices ! « Une petite image » savoureuse qui pourrait bien vous ensorceler si vous n’y prenez garde…

A Lyon, Juliette aime se balader, le plus souvent à vélo. C’est plus pratique pour se déplacer, et tellement agréable en longeant les quais. « Deux fleuves dans une même ville, quelle merveille ! (………) A Bruxelles, il n’y a pas de promenade au bord de l’eau. Des parcs, des jardins oui, et même une forêt dans la ville,  mais pas de fleuve » ajoute- t-elle. Elle adore faire son marché, à la recherche de bons produits. Ses endroits préférés : le quai Saint Antoine, le marché de Monplaisir et celui du quai Augagneur,  le jeudi soir, pour ses petits producteurs et ses food trucks. Quand sa mère passe un week-end  à Lyon, elles y viennent ensemble choisir leur dîner. Un délicat voyage du palais…

Au moment où je lui demande : « Et pourquoi ne pas ouvrir votre restaurant à vous ? » Juliette s’exclame : « Oh, je préfère ne pas essayer, j’aurais trop peur du gaspillage… J’ai horreur de jeter, même une salade fanée». En fait, c’est une vraie championne du « recycling ». Un domaine dans lequel elle a été précurseur, une spécialiste de la cuisine « fonds de frigo » dès les années 80. « Par éducation, précise- t-elle et aussi  par respect, après avoir vu les gens souffrir de la faim au Bangladesh,  quand mon père y était ambassadeur. » D’ailleurs, son dernier livre, paru en 2016, s’intitule Pénurie dans la galaxie, un texte qui, à sa manière, évoque le réchauffement climatique. Car Juliette est aussi  auteure de romans pour la jeunesse, et plus si affinités. Elle est également chroniqueuse littéraire pour l’Express Belgique. L’écriture, elle la pratique depuis si longtemps. Toute petite, elle entretenait une correspondance régulière avec ses grands-parents. La distance, paradoxalement, cela crée des liens, dit-elle. Aujourd’hui, ses critiques portent uniquement sur les livres qui lui ont plu. Un choix délibéré, pour positiver, et aussi par détestation  du conflit. Singulier pour une native du scorpion…

D’Amélie nous parlons peu finalement. L’une vit à Paris, l’autre  à Lyon. Elles se voient toujours avec plaisir pour partager un repas, répondre ensemble à une interview, aller à une expo, la dernière en date, celle d’Edward Hopper. Une tendre complicité les unit. Elles ne se ressemblent guère physiquement. Seules leurs voix se confondent. C’est parfois troublant d’entendre Juliette évoquer Amélie avec cette intonation bien reconnaissable, et une pointe d’humour.  Comme quand elle s’étonne de la capacité de sa cadette à lui indiquer en toute circonstance la bouche de métro la plus proche et la direction à prendre n’importe où dans la capitale : « C’est comme si Amélie avait un plan du métro parisien directement relié au cerveau ! ».

Voilà dans les grandes lignes la teneur de notre entretien. Nous avons à peine parlé politique, de la petite cuisine électorale, des « Nouvelles des popotes », de l’esprit d’appareil... Enfin si, de la prochaine échéance aux Etats-Unis, et de notre souhait commun de voir Hillary Clinton succéder à Barack Obama. Pour le reste, on verra bien.

Au fait, je ne vous ai pas dit comment nous nous étions rencontrées Juliette et moi ? Allez, je vous raconte… C’était au printemps 2008, lors de la campagne des municipales. Un soir de porte-à-porte. Avec un ou deux colistiers,  je finissais par une distribution de tracts dans mon propre immeuble. Arrivés au dernier étage, au moment de sonner, nous avisons la plaque avec gravé le célèbre patronyme de l’écrivain belge. Curieux, nous attendons derrière la porte avant qu’elle ne s’ouvre sur le visage d’une jeune femme brune, silhouette mince à l’élégance sobre. A la question qui nous brûlait les lèvres : « Avez-vous un lien de parenté avec Amélie Nothomb ? », elle répondit tout naturellement : « Oui, c’est ma sœur ». Les présentations étaient faites.


Depuis, j’ai quitté l’immeuble de la rue de l’Abondance. Juliette aussi. Elle habite désormais la Guillotière, dans le 7ème arrondissement. Mais peu importe, nous sommes toutes deux restées lyonnaises et heureuses de l’être. Avec un peu de chance, vous la croiserez sur un marché un jour ou l’autre ou lors d’une de ses séances de dédicaces. Mais ne cherchez pas le chapeau. Elle n’en porte pas… 

Pour le reste, toute son actualité est sur sa page Facebook. 
https://www.facebook.com/nothomb.juliette/

mercredi 5 octobre 2016

Deneuve, of course !

Rare. C’est le premier qualificatif qui me vient à l’esprit en pensant à elle. Une personne qui traverse tous les âges de la vie, sur scène et dans la réalité, avec une telle présence, c’est rare. Tour à tour « Belle de jour », « Sirène du Mississipi », « Reine blanche », « Tristana » ou « Peau d’âne », elle a merveilleusement illuminé les films de Demy, Truffaut,  Bunuel, De Oliveira, Polanski, Ferreri, Téchiné et de bien d’autres encore… Elle ose tout et tout semble lui réussir. Même quand les éléments lui sont en apparence contraires comme dans « Elle s’en va ». Avec Catherine Deneuve, il n’y a pas de petit ou de grand film. Ni de rôle à contre-emploi ! Elle entrecroise avec bonheur cinéma populaire et cinéma d’auteur. Les jeunes réalisateurs l’aiment aussi pour ça. Icône intemporelle et en même temps proche, à l’écoute. Elle inspire confiance.

Côté cœur, et sans faire dans la « psychologie bateau », ou sombrer dans le mélo, le scénario est plus compliqué. La disparition brutale de sa sœur, Françoise Dorléac, une faille originelle. L’héroïne en quête d’absolu de La peau douce aura à jamais marqué l’existence et l’imaginaire de sa cadette. Une tribu, composée de quatre filles, des parents comédiens, artistes de théâtre. Les planches, déjà …

Chez Catherine, les histoires d’amour, de Vadim rencontré à 17 ans, à Mastroianni, dans l’éblouissement de la maturité, signent une liberté sentimentale assumée. Pas si simple à vivre à l’époque. Sans être tapageuse, une vie juste loin des conventions et de l’image de jeune fille sage des « Parapluies de Cherbourg ». Plus tard, représenter Marianne entrera parfaitement en résonance avec les engagements citoyens de Catherine Deneuve, en faveur notamment de l’abolition de la peine de mort et des droits des femmes.

En revisitant son parcours et sa filmographie, m’est apparue d’elle l’image d’une femme farouchement indépendante. Avec, sans être paradoxal, un attachement fort à ceux qu’elle aime, sa famille, ses amis, et une culture du désir, son mot préféré dans la langue française. Deneuve, une aventurière, à sa manière, mine de rien… D’ailleurs, j’adore les films,  où elle laisse libre cours à son naturel hardi et bavard. Sa diction peut alors devenir une arme redoutable, avec un tel débit de mots à la minute, qu’il laisse ses partenaires médusés. Un ressort comique potentiel, car oui Deneuve peut être drôle, et même mordante. La preuve avec ces « brèves de mode », réalisées par Loïc Prigent, et auxquelles elle prête sa voix, chaque soir, sur Arte. Elle aurait ainsi pu faire sourire son grand complice Yves Saint Laurent. 

Alors, Catherine Deneuve – qui fait la une de Télérama cette semaine -, sera sans doute heureuse et fière de recevoir le prix Lumière, pas seulement pour le prestige et la reconnaissance car elle en a eu d’autres, de prix, dans sa carrière. Mais pour donner à voir, encore et toujours, le spectacle de la vie sur grand écran, au travers de la rediffusion de nombre de ses films, en version restaurée. Et éclairée ! Car c’est là l’image de marque du festival Lumière et de l’Institut du même nom. Une belle œuvre à redécouvrir dans les salles partenaires de l’évènement, du 8 au 16 octobre.


Pour finir, un enchantement dont je ne me lasse décidément pas, so glamour, la recette du gâteau d’amour…………………………………………








dimanche 4 septembre 2016

Quoi de neuf ?

En ce mois d’août, comme chaque année, la Part-Dieu a pris ses quartiers. A l’image de ses habitants. Enfin presque…  Car au cœur de l’été 2016, cette partie de la ville fourmillait encore de projets. A commencer par le chantier de mise en double site propre du C3. Cela ne parlera pas vraiment aux personnes étrangères à l’agglomération- et je m’en excuse par avance auprès d’elles- mais pour éclairer un peu l’enjeu, il me suffira de préciser que cette ligne de trolley  transporte en moyenne 55 000 passagers quotidiennement. Desservant Vaulx en Velin jusqu’à la gare St Paul, elle est la plus fréquentée  de Lyon. Voilà pour les présentations.

Concrètement, la transformation va s’échelonner sur plusieurs années,  et à ce stade de l’opération, il faut bien le reconnaitre, le cours Lafayette ressemble plus à un champ de bataille qu’à une voie apaisée.  C’est d’ailleurs assez curieux de voir la vie souterraine d’une de nos plus grandes artères ainsi révélée aux passants. On ne l’imaginait pas si foisonnante… Outre les différents réseaux mis à nu, des tranchées émergent  le lit du Rhône, ses sables gris et ses galets polis. Nous sommes à deux pas du quartier des Brotteaux , ancienne plaine alluviale du fleuve. Certes, loin de la plage idéale, c’est un peu une poésie du chaos qui se dessine le long des trottoirs, de linéaires de tuyaux en strates de bitume exhumés.  Ici et là, des égouts à ciel ouvert, des panneaux et des barricades partout sur la chaussée. Comme des « checkpoint » pour protéger de la circulation les hommes qui travaillent dans la poussière et la chaleur tardive de l’été, les gravats, le bruit des machines. Ailleurs, des pansements provisoires posés sur l’asphalte, en attendant la prochaine intervention, la prochaine trouée.

Alors les riverains, dont je fais partie, ont vraiment hâte de passer à l’étape suivante, et au programme de reconstruction. Le temps viendra – il faut savoir être patient- d’une avenue fraiche et pimpante, repeuplée d’arbres aux essences choisies et adaptées à la vie citadine, dépolluant l’air de leur feuillage alvéolé. Divine chlorophylle ! Du trolleybus, on regardera les frondaisons s’épanouir, fleurir au printemps et puis se faner doucement sous les feux d’octobre. Les arbres symbolisent avec une telle majesté le cycle de la vie.

Mais ici, plus de platanes – trop fragiles, hormis les « rescapés » de la rue Juliette Récamier,  et point de marronniers ! On nous en abreuve suffisamment  en ces temps de rentrée…  A peine rangés les maillots, c’est déjà le retour de la grande lessive.  Celle des politiques se préparant à l’échéance électorale à venir  et celle des médias postés aux avant-gardes. On l’a encore constaté avec cette querelle de chiffonniers autour du burkini. Tout ça pour ça… A cet objet de polémique,  je préfère une autre image de plage singulière, celle du protagoniste de Journal intime, Nanni Moretti en personne, déambulant, vêtu d’un pantalon et d’une chemise à manches longues, parmi les serviettes et les corps allongés sur le sable. Le regard au loin, vers le large, pensif mais l’allure décidée. Un bateau l’emporte ailleurs…

Début septembre, plus vraiment question de voyage mais laissez- moi partager avec vous ma plus belle expérience de lecture estivale. Avec La Septième Fonction du langage, Laurent Binet  m’a entrainée dans une fiction renversante dont le point de départ est le décès « accidentel » de Roland Barthes. Il va convoquer à son chevet toutes les grandes figures de l’intelligentsia des années 80 (nous sommes à la veille des élections de 81). Sollers, Kristeva, BHL, Lacan, Foucault, Derrida. Tous y passent ou presque, traités avec beaucoup d’humour  par l’auteur…  Et puis, flanqué d’un improbable duo d’inspecteurs, il  part à la quête de cette mystérieuse  fonction du langage, pour laquelle on tue, un peu, beaucoup, passionnément, de Paris à Naples… Cela rappelle Le Nom de la rose. D’ailleurs, le regretté  Umberto Eco est de la partie. Car la sémiologie, c’était son truc à Umberto !

Dans le roman, on s’adonne aussi à des séances de joutes oratoires très, très risquées, orchestrées dans l’ombre. J’ai bien envie de vous mettre sur la voie… Mais comme dans le dernier livre de Laurent Binet, Rien ne se passe comme prévu. Alors, je vous laisse la surprise de ce roman foncièrement jubilatoire. Prix Interallié 2015, il reparait cet automne aux éditions du Livre de Poche.  Il vous en coutera seulement 8 euros. Manière de faire des économies mais surtout de souffler un peu entre tous les chantiers qui nous attendent. Et la liste est longue !

dimanche 21 août 2016

Sous le soleil de Locarno

C’est La Mecque du film d’auteur, du cinéma indé- pendant. La Nouvelle Vague y a fait ses débuts et les jeunes talents y sont toujours à l’honneur (cf. le palmarès du festival ou Ciné- cure, l’excellent blog d’Aurélien Ferenczi). Un vrai paradis pour cinéphiles. A force d’en entendre parler, j’ai eu envie d’aller y voir de plus près. Même si, pour ma part, le ciel peut attendre...  69ème édition, et plus de 250 films projetés dans les cinémas de la ville, et à la nuit tombée, sur la Piazza Grande, dans la tiédeur de l’été.
Prestigieux ca- dre dont la voute étoilée forme un pla- fond de rêve, digne de Michel-Ange et de ses corps célestes. Du rêve sur la toile aussi, et en grande di- mension, avec un écran géant face aux 8000 spectateurs partageant chaque soir leur amour du cinéma.

L’emblème de cette petite ville du Tessin, en bordure du lac Majeur, se transforme ainsi chaque année, pour une dizaine de jours, en un félin aux contours insaisissables. Je m’explique : on a tous en tête le rugissement du célèbre lion de la Métro Goldwyn Meyer. Presque rassurant. Signe que la séance va bientôt commencer. Le léopard, lui, ne se contente pas de rugir. Il feule et miaule. Tout en offrant  son profil déhanché au spectateur, il le guide de film en film, de salle en salle, du matin au soir. Infatigable. Bref, tous lui courent après, festivaliers et potentiels lauréats …
Ici, on est bien loin d’Hollywood, de ses paillettes, de ses stars. Rien de voyant sous le soleil, hormis l’imprimé tacheté qui habille la ville, et ses alentours. En revanche, pas de tapis rouge, ni de tenue d’apparat,  pour les acteurs et les réalisateurs venus parler de leur film, en toute simplicité. Le ton est donné.

Cela semblait plaire à Isabelle Huppert, invitée pour Les fau- sses confiden- ces, le dernier film de Luc Bondy. Je de- vrais dire ultime car le réalisa- teur, également homme de théâ- tre, est décédé en 2015 sans même avoir pu achever son film. L’émotion était grande aussi quand l’actrice a évoqué Michael Cimino, autre cinéaste récemment disparu, et Léopard d’or l’an passé. Isabelle - j’ai envie de l’appeler ainsi - a encensé les deux Michaël de sa vie, Cimino qui lui a offert son premier grand rôle aux USA dans La Porte du Paradis et Haneke bien sûr avec lequel elle a tourné plusieurs fois. Difficile de l’oublier…
Pour autant, et au-delà de ces hommages mé- rités, Locarno se place du côté de la vie. Intensément. Avec des films comme s’il en pleuvait. Des court-métrages et des longs, des œuvres en compétition ou pas. Un parfum de pellicule à respirer les yeux grands ouverts, les sens aux aguets, et toujours sa Carte Pass à portée de main ! En suivant la trace du léopard, on a ainsi pu retrouver un acteur un peu perdu de vue, Romain Duris, protagoniste de Cessez le feu ou la petite histoire dans la grande, celle de 14-18, de ses survivants ; plus loin, des enfants égarés dans une forêt où le réel le dispute à l’onirique, sous le regard d’un père en proie au spiritisme (Dans la forêt, de Gilles Marchand). Sans omettre Jason Bourne, la CIA toujours aux trousses…

Harvey Keitel, « tête brûlée », éternel rescapé des films de Scorsese ou de Tarantino, s’est vu décerner un Léopard d’or pour l’ensemble de sa carrière, tout comme Jane Birkin. A cette dernière, on souhaite de se rétablir vite, très vite - si j’osais, je dirais à la vitesse du TGV comme pour illustrer son rôle dans un des court-métrages de cette édition, La femme et le TGV.

Locarno, c’est aussi une foule de rencontres, la proximité avec le public, une communion artistique. « Una casa del cinema », en cours d’édification, permettra prochainement d’accueillir encore davantage de cinéphiles, et les talents de demain, nommés dans la catégorie « Pardi di domani ». Un seul regret peut-être, la difficulté à se procurer le programme et les informations sur les événements plus en amont. La communication d’UBS, principal sponsor du festival, autour de son Prix du Public ne fait pas tout… Heureuse néanmoins que le film Moka, thriller entêtant, et production franco-suisse tournée entre Lausanne et Evian, ait été distingué.

Après plusieurs jours en quasi immersion, ma route du retour a emprunté le col du Saint-Gothard.(Locarno est presque posé au pied du my- thique massif).
Gotthard, le film présenté pendant le Pré-Festival, a d’ailleurs fait la part belle à l’histoire de la construction du tout premier tunnel, à la fin du 19ème siècle, et à ces centaines d’hommes, de mineurs, immigrés pour la plupart, espagnols, allemands, italiens, autrichiens, attelés à forer, percer, étayer, bâtir… Un ouvrage comme une mosaïque de cultures et un fil entre les pays traversés.

La métaphore du tunnel d’où jaillit le jour, tel une promesse, me rappelle une anecdote familiale : mon père disait souvent qu’en arrivant en Suisse Italienne, à l’aube, après avoir roulé toute la nuit, on trouvait toujours le soleil au bout du tunnel. 

Réalité ou magie du souvenir, peu importe… L’essentiel est d’y croire, de croire au renouveau,  même au cœur de la noirceur la plus  totale. Godless, le film doublement primé cette année, est à ce titre éloquent. En attendant sa sortie à l’automne, continuons à profiter du passage de l’ombre à la lumière, et inversement quand la chaleur se fait lourde et pesante. Du soleil de Locarno au contraste des salles obscures mais pleines d’esprit, et de tout ce qui illumine nos vies terrestres. De la lumière fauve…

dimanche 31 juillet 2016

Retour à Groix


C’était il y a deux ans. Première escale. Découverte de l’insularité à la mode de Groix, au large de Lorient, ancien comptoir maritime de la Compagnie des Indes. Bleu de l’océan qui plonge dans le bleu du ciel. Ile(s) du Ponant, ile du sud Bretagne.
« Qui voit Groix, voit sa joie » disent les marins, dans leur grande sagesse. Alors forcément, l’envie d’y revenir, d’«amérir» en douceur, de se laisser porter au gré des éléments, à la faveur de l’été.
Oublier l’heure quand les jours semblent ne plus vouloir finir… De Pen Men à la Pointe des chats, huit kilomètres à parcourir à sa guise. 

« Dans cette époque un peu terrifiante, être breton, c’est rassurant. » confie le chanteur Christophe Miossec au magazine Bretons. Peut-être bien.
Fier d’être breton ? Sans doute. Et fiers d’être Bleus en ce dimanche 10 juillet, jour de la finale de l’Euro, certainement. L’équipe de France n’a pas soulevé le trophée de champion. Certes… Mais au fil de la compétition, elle a gagné une force, une légitimité, a montré du plaisir à jouer collectivement. A peine impressionnée face à l’Allemagne, éternelle favorite. Des valeurs qui au-delà du football rassemblent.

C’était rassurant dans cette drôle d’époque en mal de repères, en quête de héros. Grisant aussi. Comme une voile qui file en claquant sur un océan d’écume. Un pavillon tricolore fier d’arborer ses couleurs à la veille de la fête nationale, un peu ragaillardi par les évènements.
L’histoire s’est mal terminée, à Nice. Après Paris, scènes de terreur qui se répètent, allant crescendo dans l’horreur, l’âge des victimes. Sans oublier Saint -Etienne-du-Rouvray et la ville de Munich, frappée également au cœur de sa chair. Vague cruelle.

 « Etre breton, c’est rassurant » disait Miossec ? Et être ilien ? A l’abri des vents contraires, à bon port. Insulaire et solidaire. On se connait, on se reconnait comme avec ce couple d’amoureux croisé il y a deux ans.
Ils n’ont pas changé, à peine quelques rides aux coins des yeux pour lui, et de nouvelles lunettes pour elle. Des inséparables qui reviennent inlassablement sur le lieu de leur rencontre. 



Croulant sous les rangées de fleur, de simples penty s’y enivrent de couleurs et de parfums.  Bercés par la lumière changeante, hortensias, fuchsias, agapanthes rivalisent d’abondance. Même les micro-implantations florales le long des murets des maisons - à défaut de trottoirs citadins à orner- se font plus voluptueuses. Alors oui, tant de beauté, c’est rassurant dans ce monde un peu fou.
A l’image de cette Marie et les naufragés, venue s’échouer aux  Grands sables au printemps dernier. Une fable ciné-matographique, un conte sur la tempête qui règne dans le cœur des uns et l’esprit des autres, et pour tous l’apaise-ment retrouvé sur ce bout de terre, ce « caillou » comme le sur-nomment les Groisillons. Parfait pour mieux repartir dans la vie. Aguerris.

Des personnages qui nous aident à grandir. On en a toujours besoin, à tout âge. A condition, comme le souligne Boris Cyrulnik dans son dernier essai, Ivres paradis, bonheurs héroïques, de les choisir du bon côté. Des héros positifs, rayonnants malgré leurs imperfections. La littérature et l’histoire en proposent de merveilleux exemples.

Prenez ceux d’Erick Orsenna, d’ «indécrottables» idéalistes. L’auteur s’en amuse tout en sachant que cette attitude est la seule qui vaille. Sans idéal, sans espoir d’une vie meilleure, point de salut… C’est d’ailleurs un grand amateur d’iles l’ami Orsenna. Son point d’ancrage est à Bréhat mais son bateau a été vu au port de Groix la semaine dernière. Au grand dam de la libraire, il n’est pas même monté jusqu’au bourg.
Pourtant, elle a tous ses livres en rayon et à L’Ecume on aurait été fiers d’accueillir l’illustre voyageur… Rendez-vous manqué pour cette fois…  Il y a en aura d’autres, des bateaux et des passagers, célèbres ou visiteurs anonymes, dont les pas se suivent et se ressemblent.


Alors, un dernier verre de Breizhcola ou d’Ice tea du Phare ouest - vive l’humour breton- avant de penser au retour. Du bateau, l’ile s’éloigne déjà. On distingue encore, sur la côte orientale, les contours de la plage des Grands sables, longue dune blanche qui s’avance dans l’océan. Plage convexe, courbe inversée. Des sables dominants dont l’unique concession est de se laisser mouvoir au fil du temps. Plusieurs mètres par an, inexorablement. 
Une plage vagabonde. Le plus amusant dans tout cela est que le village de vacances, à l’origine construit en surplomb de la plage, se retrouve aujourd’hui en décalage permanent… Heureusement, à l’autre pointe, la plage des sables rouges dont les roches aux éclats de grenat ont donné son nom à l’ile, Enez Groe en breton,  lui tend les bras.

Une curiosité géologique et un pied de nez géographique, ce qui n’est pas fait pour déplaire aux habitants, des gens soucieux de la préservation de leur ile des promoteurs  et des opportunistes de tout bord. Vivre là au présent ou au long cours, ça se mérite …


Un vol de mouette souligne, rieur, la ligne d’horizon. La surface de l’eau se ride de sillons argentés. Un ban de sardines peut-être ? ? Lorient est au bout de la course. Du fond de mon sac, un objet oublié refait surface, un bracelet montre. Je le glisse à mon poignet. Il est l’heure maintenant.

dimanche 26 juin 2016

Avec le ballon rond, on connait la chanson…


Alors, si j’y allais de mon couplet…

Médiatique, mercantile, décrié et idolâtré à la fois, proie favorite des hooligans et bûcher des vanités, le football cumule les superlatifs en tout genre, pour le meilleur et pour le pire. Il n’en reste pas moins éminemment populaire, sait à coup sûr faire vibrer les cœurs et pas seulement au moment d’entonner les hymnes nationaux… Peu de sports ont ce pouvoir-là. Drapeaux peints sur le visage, emperruqués, les supporters s’affichent aux couleurs de leur pays. Tant que la rivalité n’attise pas les rancœurs nationalistes à proximité des stades, tout va bien. D’ailleurs, ces bagarres de rue, savamment orchestrées par des esprits très éloignés de la pratique et de la compétition sportive, sont plus un avatar du climat ambiant que  la « loi du foot ». 

Les nombreux supporters croisés dans les rues de Lyon la semaine dernière n’appartenaient heureusement pas à cette catégorie.  Allure de touriste bon enfant, pacifiques appareils photo en bandoulière, nez en l’air, se baladant entre averses et éclaircies car le temps n’était pas vraiment de la partie… Mais les supporters de l’Irlande du Nord sont habitués aux sautes d’humeur de la météo. Depuis, l’été et la chaleur se sont imposés à Lyon, et d’autres partisans sont venus encourager  leur équipe favorite, nos amis portugais en tête.

A les voir déambuler ainsi, je me suis posée la question de savoir ce qui différenciait un supporter made in 2016 d’un supporter des décennies précédentes. Et si au refrain du « c’était mieux avant », on pouvait s’essayer sans risque. J’ai  ainsi dû piocher dans mes propres souvenirs et revivre en pensée l’époque où un certain Michel Platini faisait ses débuts à l’AS Nancy Lorraine, sous le maillot orné de l’emblématique chardon « Qui s’y frotte, s’y pique ». Jeune garde montante de l’équipe, évoluant en duo avec Olivier Rouyer, il jouait déjà son avenir.  Petite anecdote au passage : ma prof de français d’alors, invitée à une réception à l’hôtel de ville en présence des joueurs de l’ASNL, avait rapporté à tous ses élèves des photos dédicacées des deux stars locales. Une vraie fan cette Evelyne ! Oui, elle s’appelait Evelyne ma prof, et vivait encore chez ses parents … Il n’y a pas de prédestination à la condition de fan, toutes origines confondues, d’ici et d’ailleurs, dans la mêlée filles, garçons, jeunes, vieux, répondant au nom d’Abdel, de Vincent, de Marco, de Thierry, de Louiza, de François, tous solidaires et unis  vers un même but, la victoire de leurs champions.

Séquence plutôt amusante à revisiter même si, à quinze ans, je n’étais pas une grande supportrice. Mes héros à moi étaient plus à chercher du côté de la musique. Les footeux à la maison, c’étaient les hommes, père, grand-père et oncle paternel. Et impossible de regarder autre chose à la télé un soir de match, surtout quand les bleus jouaient. Là, je m’arrête un instant pour lever toute ambiguïté car sous l’égide de « bleus » il y avait bien deux équipes de nationalité différente : l’équipe de France et la squadra azzura… La soirée la plus cruelle étant celle où les deux camps s’affrontaient sous les yeux de leurs supporters meurtris, coupés en deux, crucifiés … Et croyez-le, dans ce cas de figure, le spectacle était autant dans la lucarne que de l’autre côté de l’écran…

Quand Michel Platini, après une carrière chez les Verts, s’est envolé pour la Juventus, remportant au passage tous les trophées et toutes les consécrations possibles, le fils d’Aldo et d’Anna  réussit à faire vibrer plus encore le cœur de tous ceux qui avaient  la France et l’Italie en partage. Devenu Platoche, surnommé « le roi Michel » par nos cousins transalpins, immortalisé en milieu de terrain offensif, trois fois « Ballon d’or », le capitaine des bleus  fût un joueur d’exception. Même s’il est aujourd’hui  éclaboussé par une affaire de pot de vin au sein de la FIFA, il reste ce « numéro 10 », qui aura fait rêver des générations d’amateur de ballon rond. Des « tifosi »avertis de la tête aux pieds, et fiers d’être européens car des pays du Sud, l’Italie a bien été le premier à rallier l’Union Européenne, aux côtés de la France.  Et à prendre sa place dans l’histoire. Quoique critique, Beppe Grillo, auréolé de ses derniers succès électoraux, se déclare un partisan du maintien de l’Italie dans l’Union. Mais à quel prix ? Reste à voir comment  les tenants de la ligue du nord, toujours fermement opposés à l’accueil des migrants, tenteront de légitimiser leurs positions suite au Brexit. A l’instar d’autres populistes.

Retour au foot,  et clin d’œil final à Michel Platini : maintenu dans l’ombre de cet Euro 2016, il est né un 21 juin, en plein solstice d’été. De l’ombre à la lumière. ..  Avec quelques jours  de retard, bel anniversaire à lui et allez les bleus !