Jeudi 20
octobre 2016. Il fait beau à Lyon. Un franc soleil baigne les rues de la
Presqu’île et rosit les façades des immeubles haussmanniens, le long du Rhône.
C’est le
début des vacances scolaires. Pas de pause au programme des prochains jours même
si le rythme de travail faiblit doucement.
Pourtant, je presse l’allure, et ce n’est pas pour me rendre à une
réunion à l’Hôtel de Ville, mais à un rendez-vous un peu particulier… Car aujourd’hui, voyez-vous, j’ai rendez-vous avec Mademoiselle Nothomb.
Juliette de son prénom. Nous arrivons
presque ensemble, à l’heure dite, et nous nous installons après avoir commandé
un café. Enfin, ce sera plutôt un thé pour Juliette. L’endroit est confortable,
cosy, parfait pour une conversation dont le sujet principal sera : mon
invitée.
Crédit Photo France Dubois |
Elle a posé
son sac, un grand sac à dos en forme de mappemonde. Je pense bien sûr aux
nombreux pays où elle a vécu pendant son enfance. Une fille de diplomate, forcément. Je trouve amusant qu’elle se soit fixée, ici
à Lyon, il y a 17 ans, en choisissant sur la carte une grande ville proche de
tout, laissant à Bruxelles ses activités professionnelles d’alors. Tout en
travaillant à distance pour un journal belge, à la rubrique cuisine, la grande
passion de Juliette. Elle me raconte comment, enfant, elle regardait faire sa
mère, reproduisant ses gestes à mesure. Plus tard, pendant ses années
d’étudiante à Bruxelles, elle régalera ses amis qui lui fourniront parfois la matière
première nourricière. ..
Pour
Juliette, la cuisine n’est pas le fruit du hasard. Il y a la base, des codes à
connaître, la nécessité de comprendre le langage des mets avant de
mélanger leurs saveurs. Un peu comme en
littérature. Un style, une signature, c’est une savante composition. Du travail autant que de l’inspiration. Et
la « cuisine fusion », cet art de brasser les cultures dans
l’assiette, ne se pratique pas d’un seul coup de baguette magique ! Elle a déjà un joli parcours à son actif Juliette Nothomb, de La cuisine d’Amélie, 80
recettes de derrière les fagots, son
premier ouvrage, à Carrément biscuits (2012), où elle livre le secret de sa fameuse pâte à spéculos.
Elle m’a avoué qu’en Belgique il en existait
presque autant de recettes que de familles. Une affaire de vergeoise, de
farine, et un certain dosage d’épices ! « Une petite image » savoureuse
qui pourrait bien vous ensorceler si vous n’y prenez garde…
A Lyon,
Juliette aime se balader, le plus souvent à vélo. C’est plus pratique pour se
déplacer, et tellement agréable en longeant les quais. « Deux fleuves dans
une même ville, quelle merveille ! (………) A Bruxelles, il n’y a pas de
promenade au bord de l’eau. Des parcs, des jardins oui, et même une forêt dans
la ville, mais pas de fleuve »
ajoute- t-elle. Elle adore faire son marché, à la recherche de bons produits.
Ses endroits préférés : le quai Saint Antoine, le marché de Monplaisir et
celui du quai Augagneur, le jeudi soir,
pour ses petits producteurs et ses food trucks. Quand sa mère passe un week-end
à Lyon, elles y viennent ensemble choisir
leur dîner. Un délicat voyage du palais…
Au moment où
je lui demande : « Et pourquoi ne pas ouvrir votre restaurant à
vous ? » Juliette s’exclame : « Oh, je préfère ne pas
essayer, j’aurais trop peur du gaspillage… J’ai horreur de jeter, même une
salade fanée». En fait, c’est une vraie championne du « recycling ».
Un domaine dans lequel elle a été précurseur, une spécialiste de la cuisine « fonds
de frigo » dès les années 80. « Par éducation, précise- t-elle et
aussi par respect, après avoir vu les
gens souffrir de la faim au Bangladesh, quand mon père y était ambassadeur. »
D’ailleurs, son dernier livre, paru en 2016, s’intitule Pénurie dans la galaxie, un texte qui, à sa manière, évoque le réchauffement climatique. Car Juliette est aussi auteure de romans pour la jeunesse, et plus si
affinités. Elle est également chroniqueuse littéraire pour l’Express Belgique. L’écriture,
elle la pratique depuis si longtemps. Toute petite, elle entretenait une
correspondance régulière avec ses grands-parents. La distance, paradoxalement,
cela crée des liens, dit-elle. Aujourd’hui, ses critiques portent uniquement
sur les livres qui lui ont plu. Un choix délibéré, pour positiver, et aussi par
détestation du conflit. Singulier pour
une native du scorpion…
D’Amélie nous
parlons peu finalement. L’une vit à Paris, l’autre à Lyon. Elles se voient toujours avec plaisir
pour partager un repas, répondre ensemble à une interview, aller à une expo, la
dernière en date, celle d’Edward Hopper. Une tendre complicité les unit. Elles
ne se ressemblent guère physiquement. Seules leurs voix se confondent. C’est parfois troublant d’entendre
Juliette évoquer Amélie avec cette intonation bien reconnaissable, et une pointe
d’humour. Comme quand elle s’étonne de
la capacité de sa cadette à lui indiquer en toute circonstance la bouche de
métro la plus proche et la direction à prendre n’importe où dans la capitale :
« C’est comme si Amélie avait un plan du métro parisien directement relié
au cerveau ! ».
Voilà dans
les grandes lignes la teneur de notre entretien. Nous avons à peine parlé
politique, de la petite cuisine électorale, des « Nouvelles
des popotes », de l’esprit d’appareil... Enfin si, de la prochaine
échéance aux Etats-Unis, et de notre souhait commun de voir Hillary Clinton succéder
à Barack Obama. Pour le reste, on verra bien.
Au fait, je
ne vous ai pas dit comment nous nous étions rencontrées Juliette et moi ? Allez,
je vous raconte… C’était au printemps 2008, lors de la campagne des municipales.
Un soir de porte-à-porte. Avec un ou deux colistiers, je finissais par une distribution de tracts
dans mon propre immeuble. Arrivés au dernier étage, au moment de sonner, nous
avisons la plaque avec gravé le célèbre patronyme de l’écrivain belge. Curieux,
nous attendons derrière la porte avant qu’elle ne s’ouvre sur le visage d’une
jeune femme brune, silhouette mince à l’élégance sobre. A la question qui nous
brûlait les lèvres : « Avez-vous un lien de parenté avec Amélie
Nothomb ? », elle répondit tout naturellement : « Oui, c’est ma
sœur ». Les présentations étaient faites.
Depuis, j’ai
quitté l’immeuble de la rue de l’Abondance. Juliette aussi. Elle habite
désormais la Guillotière, dans le 7ème arrondissement. Mais peu
importe, nous sommes toutes deux restées lyonnaises et heureuses de l’être. Avec
un peu de chance, vous la croiserez sur un marché un jour ou l’autre ou lors
d’une de ses séances de dédicaces. Mais ne cherchez pas le chapeau. Elle n’en
porte pas…
Pour le reste, toute son actualité est sur sa page Facebook.
https://www.facebook.com/nothomb.juliette/
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