Elles tournent et tournent encore, toutes ailes déployées,
comme si leurs bras de métal cherchaient les courants favorables. Ces grands
oiseaux blancs fichés en pleine terre, parfois en mer (dans des fermes offshore)
sont des figures familières de nos paysages.
En longeant les routes et les
autoroutes, on les aperçoit par petits groupes, sur un mont, une butte, prenant
de la hauteur pour mieux fendre l’air. Éoliennes, devant leur nom au dieu grec Éole, emblème de la force des vents.
Mais l’éolienne a mauvaise presse. C’est une mal-aimée à
laquelle on impute mille maux.
Il suffit de voir fleurir les panneaux « Non à
l’implantation des éoliennes à C…..… ». On les dit bruyantes, sources de
pollution visuelle des grands espaces. C’est oublier qu’elles produisent une
partie de notre précieuse électricité. Pour mémoire, huit éoliennes servent à
alimenter 15 000 foyers ! A l’horizon 2020, elles devraient représenter
10% de la consommation électrique française.
Quant à l’esthétique, laissez-moi rire doucement. Et là je
rejoins volontiers Ségolène Royal sur le sujet : débarrassons-nous d’abord
des panneaux publicitaires et autres qui enlaidissent les abords de nos villes
et villages, leur conférant un aspect de « bazar de plein air » …..
Je ne crois pas que le regretté Bernard Marris en parle dans son dernier livre Et
si on aimait la France mais il n’en a peut-être pas eu le temps… Je me
souviens juste d’une allusion aux ronds-points, autre attribut peu valorisant
de nos périphéries…
Dans l’imaginaire collectif, il y a bien de la place pour
les moulins d’antan, à eau, à vent, à mer. Le plus fameux étant celui qui servait
à produire de la farine, nourrissant ainsi les populations en pain et galettes
de toutes sortes. Il en reste encore ça et là, certains reconvertis en
restaurants, ou habitations, d’autres à l’abandon dans la campagne, le plus
souvent amputés de leurs ailes.
Il y a bien aussi les Lettres de mon moulin et les
vestiges du moulin de Daudet quelque part en pays provençal.
Quant aux moulins à paroles, laissons-les moudre leur grain
en solitaire et nous aurons la paix.
Pour en revenir aux éoliennes, dont il me plait de prendre
la défense aujourd’hui, eh bien je leur trouve de l’allure et une présence presque rassurante. L’image d’une vigie, à l’ombre des champs de blé. On me
rétorquera que je ne vis pas à côté. Mais croyez-moi, la vie citadine foisonne
de bien d’autres sources d’agitation et de brasseurs d’air inutiles…
Peut-être ces éoliennes, négligées de leurs concitoyens,
espèrent-elles un jour prendre leur envol, et traverser la mer méditerranée, vers
le pays de leurs ancêtres. Rejoindre ainsi leurs sœurs crétoises sur le haut
plateau du Lassithi…
Leurs ailes seraient de toile tendue et onduleraient dans
l’air, telles les voiles d’un bateau.
Les touristes viendraient de loin pour les admirer, les
photographier, et leur silhouette dans le monde entier illustrerait les albums
souvenirs et les guides de voyage.
Certes, elles adopteraient la nationalité grecque, scrutant dorénavant
inquiètes les signes d’un ciel obscurci de nuages. En cette période de grande
incertitude quant à l’avenir du pays, le verdict de l’oracle n’en serait que
plus attendu de tous. Selon le schéma habituel, la Pythie, âme pure, serait
choisie avec le plus grand soin, tout comme les prêtres chargés de retranscrire
l’oracle, en l’état incompréhensible au commun des mortels. Les autorités
compétentes alors instruites de la pensée divine, pourraient mettre en action
un nouveau plan d’aide, permettant aux grecs de rembourser leur dette, immense
puits sans fond…
En cette fin d’été, le feuilleton grec semble proche de sa
conclusion, à moins qu’un nouveau rebondissement ne vienne relancer l’affaire.
Et chacun de guetter le messager zélé qui viendra délivrer le message de
Bruxelles. Car il y a bien longtemps que Delphes ne fait plus recette en
matière de divination et que ses moulins à blé sont en jachère…
En attendant l’épilogue, nom masculin, du grec, épi et
logos, signifiant le discours récapitulatif de la fin d’une pièce de
théâtre, une simple question me brûle les lèvres :
Mais pourquoi diable les grecs ont-ils inventé la
tragédie ? Ce peuple, si urbain, méritait sans doute un sort meilleur.