Dave Johns dans le rôle de Daniel Blake |
On s’était donné rendez-vous devant le cinéma, rue
Berthelot. Un quart d’heure avant le début de la séance. Le temps de prendre
les billets et de se mettre dans le rang. En arrivant ce dimanche-là, on a tout
de suite compris qu’on était nombreux à avoir eu la même idée… Pas seulement à
cause des vacances, du changement d’heure ou encore du long week-end de la
Toussaint. L’effervescence dans l’air indiquait que le film avait déjà trouvé
son public, peut-être même avant sa sortie en salle. Les gens continuaient
d’affluer et, dans le hall, la file d’attente serpentait maintenant des caisses
aux escaliers. Il fallait se rendre à l’évidence, la séance était compromise, à
moins d’accepter de se retrouver assis, le nez à un mètre de l’écran de projection.
Position assez inconfortable au demeurant. Qu’à cela ne tienne, la soirée du
lendemain était libre. Il faudrait revenir avec un peu plus d’avance sur
l’horaire. On avait vraiment envie de le voir ce film…
Cinq mois plus tôt, il remportait la Palme d’or au Festival
de Cannes. Une seconde palme pour son auteur, le cinéaste qui a fait des « déclassés »
des personnages universels, des héros du quotidien. Des hommes et des femmes
qu’on n’oublie pas de sitôt. Grâce à l’œil de Ken Loach. Même si d’aucuns, dans
sa bataille, le considèrent un peu comme
le « dernier des Mohicans ».
Le lendemain soir, moins de monde devant le cinéma. Après le
rituel de présentation de la carte d’abonnement et l’annonce par le guichetier du
nombre de places restantes avant son renouvellement, nous voilà, le sésame en
main, bien placés dans la file, à attendre que la salle se vide du flot des
spectateurs de la séance précédente. Autour de nous, les gens bavardent
gentiment : « Non, on est restés à Lyon, on bougera plutôt autour du
11 novembre », « Et chez vous, ça va ? Juliette est bien
rentrée ? Oui, et elle était ravie de son séjour ... »
Public d’habitués, de cinéphiles, jeunes retraités actifs, comme souvent au
Comoedia, mais aussi des étudiants, des
couples, des petits groupes d’amis. Tous prêts à embarquer ensemble pour deux
heures ou presque de « synchronisation des consciences », selon la
formule empruntée à Bernard Stiegler. Allez, encore cinq minutes et on pourra
présenter nos tickets…
On est dans la grande salle, la 1. Je me dis au passage que
ce serait bien de lui donner un nom, au lieu d’un numéro, impersonnel. Quelques
propositions me viennent à l’esprit avant que la nuit n’emplisse soudain l’espace,
mettant fin aux chuchotements, et aux allées et venues. C’est à un certain
Daniel Blake de faire son entrée… 1h et 39 minutes plus tard, on sort de là un
peu sonnés. Des spectateurs tardent à quitter leur siège, dans un silence
respectueux, émus.
C’est dire si l’histoire de cet homme, ex-charpentier, broyé
par une administration délivrant du « process » et rien d’autre,
dressant des murs entre elle et les individus, est implacable. Daniel Blake se
revendique avant tout comme citoyen, « pas un client, pas un
usager ». Un citoyen avec des droits et des devoirs. Ses devoirs, il s’en
acquitte. En retour, il attend de l’état la reconnaissance de son statut d’invalidité.
Ses anciens collègues, ses voisins de palier, tous essaient de s’en sortir
comme ils peuvent, de survivre, en s’entraidant. L’art de la débrouille, l’économie
parallèle parfois, faute d’un vrai travail. Daniel s’y refuse. C’est un honnête
homme. Le désarroi de Katie, jeune mère célibataire, rencontrée à Pôle emploi -
enfin dans la version anglaise, semi privatisée -, va grossir sa révolte face à
un système particulièrement inique. La
séquence de la banque alimentaire est terrible. J’avoue avoir pleuré. Une
première fois.
La fin du film est sans appel. D’après les critiques, Ken
Loach s’est élevé au rang de Dickens dans sa peinture sociale, sans jamais
tomber dans l’écueil du misérabilisme. Ici, les fantômes de l’Angleterre
victorienne viennent encore se heurter au réel de nos sociétés
post-industrielles, et à leur cortège de laissés pour compte. Les associations
caritatives pallient au manque de tout : nourriture, vêtements, produits
d’hygiène.
J’ai pleuré une seconde fois en écoutant les derniers mots de
Daniel Blake, lus par Katie. De honte, de tristesse, et de colère mêlées. Merci
Ken Loach pour ce regard acéré sur le libéralisme et pour cette empathie envers
les plus humbles, fidèles sujets de sa majesté ou pas.
Et pour ces larmes aussi ...
Un avant gout avec la bande annonce du film :
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire