C’est un nom, et un style un peu à part dans la foule des
réalisateurs français. Peut-être une particularité due à ses choix cinématographiques,
filmer la chaleur marseillaise plutôt que les toits gris et romantiques de
Paris. Sa caméra ausculte le cœur de l’Estaque, ses artères et surtout ses
habitants au verbe haut.
Ses premier films, les tout premiers, Dernier été, Ki
lo sa ? ou encore Dieu vomit les tièdes installent déjà une intrigue
et des personnages dont le principal, l’alter-égo du réalisateur, incarné à
l’écran par Gérard Meylan. Ici, on ne prend pas la pose, on ne badine pas comme
chez l’élégant Rohmer, fidèle à un
esprit de marivaudage très 18ème. A contrario, les mots y sont durs, l’accent
rugueux, proche des paysages du sud, sous un soleil de plomb, rappelant fatalement
L’étranger. L’histoire, tragique à l’image de cette scène de cambriolage
qui finit mal. A la sortie de l’usine, Ariane attendra en vain son amoureux,
guettant au loin la silhouette d’une voiture fantôme. Et c’est la scène finale
de Dernier été qui résonne comme une claque.
Ce réalisateur, Robert Guédiguian, c’est bien lui, beaucoup
l’ont découvert avec Marius et Jeannette, attachante chronique d’un
« village » marseillais, évocatrice à demi-mot de la face sombre de
l’univers Guédiguian. « Les contes de l’Estaque » sont pleins de
princes déchus et de « fées des lilas » aux pouvoirs débonnaires. On
y respire l’air du large mais les fins de mois sont difficiles, le travail souvent
précaire, les quartiers nord à deux pas seulement… Il y a là le racisme
ordinaire, inscrit sur les murs de la cité et dans les têtes, tel une lame de
fond, violente, et aussi l’espoir ténu d’une vie meilleure. C’est la promesse d’un
nouvel amour pour Jeannette. Caressé un temps, le rêve s’éloigne… La magie du
conte nous entraîne alors à sa suite pour un banquet au parfum d’aïoli dans une
cimenterie désaffectée, sorte de désert des tartares en plein midi. Le cinéaste
ne joue pas la carte de l’illusionniste, ni celle du tendre, en nous laissant
entrevoir un « happy-end »… Ses personnages ont juste du cœur et un
ancrage bien à gauche.
Si dans ses premiers films, on retrouve Le bar de la marine,
clin d’œil à Pagnol, Robert Guédiguian emprunte peu au mythe local et à la saga
des collines. Il cultive simplement le sens de la famille, symbolisé par sa tribu
d’acteurs, Meylan le rebelle – déjà
cité, Ariane Ascaride, l’égérie et Jean-Pierre Darroussin, le doux rêveur. Les
rejoignent Jacques Boudet, l’instituteur humaniste de Marius et Jeannette,
Pierre Banderet, Pascale Roberts et les autres… A l’évidence, Guédiguian aime
ses acteurs et tout bonnement aime les gens, de Marseille et d’ailleurs.
Dans La ville est tranquille, toujours ces mêmes personnages,
rattrapés par la réalité, l’œuvre signant la fin des utopies et le
désenchantement.
Pour autant, Guédiguian se souviendra toujours de sa
jeunesse et de l’Humanité Dimanche, distribué avec ses copains d’alors, devenus
ses héros d’aujourd’hui. Les deux peuvent se confondre, se superposer même.
C’est d’ailleurs sans surprise que j’ai un jour croisé
Gérard Meylan, tracts de campagne à la main, sur le marché de l’Estaque, à côté
de la célèbre baraque à panisses. C’était en mai 2012, au moment des législatives.
La conversation s’est engagée sur un ton ouvert. On a parlé politique,
forcément, puis cinéma pour tomber finalement d’accord sur les films de
Guédiguian… J’ai bien eu le sentiment d’être un peu ramenée à la condition de
« Monsieur Brun » en précisant que j’étais lyonnaise … Mais peu
importe je veux bien sacrifier à la galéjade si elle a le pouvoir de ranimer la
figure de l’immense Raimu et de sa célèbre réplique : « Tu me fends
le cœur ! »
A la vie, à la mort !, comme un cri de ralliement. On en a toujours besoin…