lundi 23 mars 2015

E pericoloso sporgersi !

Je ne sais pas vous mais moi j’aime bien voyager en train. Je dis voyager, et pas seulement effectuer des trajets professionnels, une tablette sur les genoux ou un portable vissé à l’oreille.
 
En fait le train, c’est rassurant, les rails certes, mais aussi le roulement qui berce et la vue du paysage qui défile. « La Bête humaine » a l’art de nous transporter avec imagination. Le temps du voyage devient évasion si l’on choisit bien son compagnon de bord. Muni d’un livre par exemple, mais pas d’un roman de gare ... De nouvelles, que l’on ne saurait réduire à la gazette du jour, ou encore d’un essai, de mémoires. Le choix est vaste et peut être lié à la durée et à l’attrait du voyage, ou décorrélé de son objet. La lecture va se poser au gré des haltes, reprendre son cours, s’amuser de son reflet dans la vitre, suivre les sursauts de la voie.
Et soudain être interrompue par une autre voix, celle du contrôleur ... de billets.
 
Retour à la réalité, un peu abrupt. Les voyageurs alentours. Car en train, on est rarement seul.
Les aléas d’un voisinage temporaire ne sont pas forcément dénués de charme. A condition d’être chanceux au jeu des places. En cas de passagers trop envahissants, on peut toujours se délasser les jambes dans les couloirs, rejoindre la voiture-bar, le wagon restaurant.
Se balader à l’intérieur du voyage… Toutes choses que le vol aérien ne permet pas avec la même aisance, même s’il a l’avantage de nous propulser la tête dans les nuages. Douceur ouatée pour traversée fulgurante.
 
Voiture 7, numéro 28. Le contrôleur a quitté la rame et l’on peut renouer avec la lecture, le rêve éveillé, à moins d’avoir une correspondance à prendre…
 
Petit souvenir anecdotique qui me vient en route. C’était il y a cinq ans, un voyage à Rome. Nous avions choisi le train. Pas de signe particulier à l’aller, si ce n’est la présence bavarde d’un couple d’italiens, et de leur armada de bagages estampillés Costa Croisière embarqués à Gênes. L’inopiné réveil du volcan Eyjafjoll nous valut en revanche un retour des plus spectaculaires. Face à la pénurie d’avions, les touristes se rabattaient sur tous les trains au départ de Termini. S’ensuivit une cohue sans nom, passagers et valises postés ça et là, familles dispersées, en pagaille. Une fin de vacances de printemps aux allures de rapatriement d’urgence… Pour finir, une grève surprise nous obligea à une nuit à la frontière italienne.
A Vintimille, retour au calme. Pax Romana.
 
Le temps de songer à un de ces voyages mythiques, de ceux qui rallient l’Europe aux portes de l’Orient. Aux escales insolites.
Combien d’histoires, de récits, avec un train en toile de fond, à compartiments ou pas. L’endroit a beaucoup séduit les écrivains, d’Agatha Christie aux auteurs contemporains.
Et les amateurs de quais de gare…
 
La nuit tombe et, à la campagne déserte, succède la ville. Ses lumières.
Bientôt la Part-Dieu. Le Crayon est en vue. Un dimanche soir ordinaire si ce n’est l’emballement médiatique d’une après élection et les commentaires redondants auxquels j’aurai provisoirement échappé.
Dimanche prochain, second tour électoral, sauf à Lyon et Paris. Pour les autres, tous ceux qui iront voter, prendre garde au changement d’heure intervenant dans la nuit du 28 au 29 mars, à deux heures précises. Pas un horaire de train mais une consigne parmi d’autres... 
E pericoloso sporgersi !

mercredi 18 mars 2015

Elise ou la vraie vie

C’est l’histoire d’un livre, lu il y a des années. L’histoire d’une jeune bordelaise venue à Paris en quête d’une vie différente. Sur les traces d’un frère. Venue vivre la vie des travailleurs d’usine, en banlieue. A l’époque de la guerre d’Algérie.
Dans les ateliers de montage chez Renault, et au travail, postée, côte à côte, Elise rencontrera d’autres frères. Parmi eux, Arezki. Avec lui, la découverte d’un quotidien harassant, mais aussi d’une relation amoureuse forte, et « interdite ».
 
Je l’ai très longtemps gardé dans ma bibliothèque, ce livre, au fil des déménagements.
En collection de poche, avec sur la couverture la photo de Marie-José Nat, qui incarna Elise au cinéma. Visage grave, cheveux lissés, en bandeaux, regard noir et pénétrant. Un visage qui, dans ma mémoire, se confond avec celui d’une prof de français  de 4ème … C’est elle qui nous avait fait connaitre le parcours d’Elise.
 
Avec le recul, je me dis que ce choix était audacieux. Ce qui m’avait marqué alors, c’était la dureté de la vie ouvrière, la fatigue, usante comme le bruit de la chaîne. Cet épisode- un détail en apparence- la narratrice racontant les matins blêmes où l’on enfile des bas encore raidis par la sueur de la veille, avant de retourner travailler…
Et la discrimination, celle des collègues, celle de la police. « Une française et un arabe » ensemble, plus qu’un parfum de scandale…
 
Elise sera montrée du doigt, moquée, traquée, mais elle tiendra bon. Mue par  l’amour et l’esprit de solidarité. Dans la famille, le militant c’est son frère mais elle partage son idéal. S’identifie à sa révolte. Malgré les tiraillements, la difficulté à vivre cette histoire-là. En partie cachée.
Arezki sera finalement arrêté et les amants séparés. Elise rentrera à Bordeaux.
"La vraie vie n’aura duré que neuf mois."
 
Que reste t-il de ce livre, paru en 1967 ? J’ai essayé de me procurer le film de Michel Drach pour mettre des images sur les mots. Introuvable. Un film, qui depuis sa sortie en 1970, n’a pas dû beaucoup passer à la télé, en prime time en tous cas.
Pourtant, des questions posées par Claire Etcherelli, certaines sont encore d’actualité.
La xénophobie, savamment entretenue, est toujours là. En temps de crise comme en temps de guerre, la stratégie du bouc émissaire, de l’étranger.
 
Comment ne pas ressentir d’inquiétude à la veille d’élections départementales qui risquent de faire la part belle au Front National. En voie de banalisation. Pourtant, le profil de certains de ses candidats affichant racisme ordinaire et antisémitisme  devrait alerter l’opinion…
 
A posteriori, je me dis que si un livre a agi sur moi comme un révélateur, c’est sans doute possible pour d’autres. On ne dira jamais assez à quel point nos lectures d’adolescence façonnent notre identité future, notre conscience sociale et politique. Il faut encourager les enseignants qui participent à cette construction individuelle. Merci à Madame Arnould -c’était ma prof de collège… Et soutenir les réformes de l’éducation, le socle commun de connaissances, et l’accent mis sur la citoyenneté, l’apprentissage du vivre ensemble. Pour gagner, non pas des élections, mais gagner collectivement.
 
La vraie vie peut-être ? Le tout étant, comme le dit Lucien à sa sœur Elise :
 
"Un jour commencera la vraie vie…
Le principal, c’est d’y arriver intact."
 
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lundi 9 mars 2015

Ceci n’est pas un billet !

Aujourd’hui, je ne vais pas précisément écrire de billet.
Je ne vais pas, comme à l’accoutumée, vous parler de livres, de films, de musique, de chroniques radiophoniques, de nos beaux dimanches, de balades urbaines, de rencontres.
 
Ce n’est pas par désamour de toutes ces choses. Bien au contraire… J’ai toujours beaucoup de plaisir à décrire, non pas les faits uniquement, mais ce qu’ils m’évoquent.
Alors, peut-être simplement est-ce la faute du printemps…
Car oui, depuis le 1er mars, nous sommes entrés dans ce qu’il convient d’appeler le printemps météorologique… En avance sur le calendrier officiel mais conforté par l’apparition des premiers crocus et des bouquets de narcisses ici et là.
La douceur d’un rayon de soleil. Un changement de rythme, induit par le renouveau de la saison. Le printemps, vous dis-je… qui invite à un autre tempo. Bouleverser l’ordre habituel. Ajouter des couleurs à la page blanche.
 
D’ailleurs, en jetant un coup d’œil, au passage, à la vitrine du buraliste, je vois les magazines de déco afficher en couverture, comme une injonction, le besoin  de tout changer dans la maison. Les teintes, les matières, l’éclairage, pour les harmoniser à la lumière, lavée de la grisaille hivernale. Redessiner son intérieur. Puiser l’inspiration dans les forces vives de la nature. La révolution au foyer…
 
Honnêtement, j’avoue que la maison est un  lieu que j’aime. Etant un signe d’eau à carapace, j’ai besoin de m’y ressourcer, di tanto in tanto. Elle est le point d’ancrage qui rend possible l’échappée, l’« humeur vagabonde ». Elle m’inspire, comme ces maisons d’écrivain, de celles ouvertes au public, dont j’adore découvrir l’esprit,  à la lettre près... J’en avais parlé dans mon tout premier article, avec Hauteville House, la maison de Victor Hugo à Guernesey. Elle avait un goût particulier, cette visite-là…
 
Mais je ne suis pas seulement attirée par les demeures illustres. Il suffit qu’en vacances, je tombe sur une ruine, un amas de quelques pierres, au beau milieu de nulle part, pour imaginer, là, à ce même emplacement, ô surprise, Un endroit pour vivre. Une âme de bâtisseur, héritée de mes ancêtres ? Pour autant, je n’ai pas encore franchi le pas et le rêve reste à l’état d’ébauche.
C’est peut-être mieux ainsi…
 
Et puis, il n’y a pas que la maison individuelle, possessive. Toutes les autres, croisant ma route, sont belles, habitées. La Maison des jeunes et de la culture, la Maison de quartier, la Maison des Italiens, la Casa, celle des Solidarités, et bien sûr la Maison commune !
Ces maisons ont toutes en partage l’humain, le vivre ensemble. Et me voilà, au fil des lignes,  rattrapée par la réalité quotidienne, moi qui ne voulais pas en parler…
 
Rattrapée aussi par les souvenirs, la maison d’enfance… La mienne, c’était celle de mes grands-parents, à la campagne. L’image qui me revient toujours, une rangée de groseilliers, la chaleur d’un jour d’été. Juin sans doute. A peine arrivée, je me précipitais pour voir si l’allée était toujours chargée des baies rouges, tant convoitées. Les égrener sous le soleil, et être ravivée par la saveur, légèrement acidulée des fruits. Pour cela, il fallait traverser toute la maison, endormie dans la pénombre des persiennes mi-closes. La maison, le jardin, l’été…
 
Au fait, c’est quand l’été ? Le 1er ou le 21 juin… D’ici-là, le temps d’autres billets, et d’autres actualités moins météorologiques !

lundi 2 mars 2015

Marguerite Duras, 100 + 1

« Monstre sacré », c’est une expression qui lui va bien. Il y a un an, on célébrait le centenaire de la naissance de Marguerite Duras.
Des hommages dans la presse, un hors série Télérama, des inédits. Une écriture toujours vivante. Ne disait-elle pas : « Même morte, j’écrirai encore… » ?

D’ailleurs, je me souviens très bien du jour de sa mort, ou plutôt de l’annonce de sa mort. C’était à la radio, en voiture. Dehors, la pluie et dedans la tristesse.
Duras, on l’aimait ou pas. C’est comme ça … Et je fais partie de ceux qui l’appréciaient, malgré son côté pythie et ses sentences. Ou de son admiration inconditionnelle  pour Hervé Vilard. De Capri c’est fini, elle affirmait que c’était la plus belle chanson d’amour au monde…
 

Avant les années 80 et le succès de L’amant, Duras est un écrivain un peu à part. Le récit de l’aventure entre Marguerite Donnadieu et L’amant de la Chine du Nord va la rendre universelle. Epure du style narratif et complexité des sentiments. Perversité des rapports familiaux.
Cette histoire, c’est aussi celle du Barrage contre le Pacifique, la figure de la mère entre courage et folie, les frères…
De ce livre, Laure Adler disait qu’il avait, pour elle, su substituer le temps présent, celui de la  perte d’un enfant, au temps de l’auteur. Une douleur chassant l’autre.
Tous les lecteurs du Barrage n’ont pas ce vécu.
Pour autant, de la lecture de Duras, on ne sort jamais indemne. Il y a le temps de la rencontre, puis celui du voyage, beau mais inquiétant. Les personnages, la mendiante du Gange, le vice-consul, Lol V Stein, le bac sur le Mékong, le fleuve lui-même, sont les éléments clef d’un univers à la fois onirique et réel.
 
On a prétendu que l’histoire de L’amant était pure invention. Qu’importe où commence l’imaginaire et s’il dépasse la réalité. Le texte nous emmène dans cette colonie d’Indochine où  pouvoir et corruption ont dépossédé une femme de ses biens, terre, maison, réputation, raison.  La ruine est autant morale que matérielle et les enfants de Sadec ne sont plus soumis aux mêmes codes que les autres enfants blancs. La relation entre le Chinois et la jeune fille, « l’enfant », disait Duras, histoire improbable dans d’autres circonstances, peut alors naître.
 
 

« Quinze ans et demi. La chose se sait très vite dans le poste de Sadec. Rien que cette tenue dirait le déshonneur. La mère n’a aucun sens de rien, ni celui de la façon d’élever une petite fille. La pauvre enfant ? Ne croyez pas, ce chapeau n’est pas innocent, ni ce rouge à lèvres, tout ça signifie quelque chose, ce n’est pas innocent, ça veut dire, c’est pour attirer les regards, l’argent. Les frères, des voyous. On dit que c’est un chinois, le fils du milliardaire, la villa du Mékong, en céramiques bleues. Même lui, au lieu d’en être honoré, il n’en veut pas pour son fils. Famille de voyous blancs. »  Extrait de L’amant, pages 108-109
 
C’est un an après que je m’associe à l’hommage rendu à un écrivain hors norme - mon blog a seulement quelques mois d’existence - et à son œuvre littéraire, théâtrale, cinématographique, construction de toute une vie. De la musique Moderato cantabile, au testament Ecrire.
 
 
Duras, c’est encore les lieux d’inspiration, les refuges, selon les époques. L’appartement de la rue Saint Benoît, la Maison de Neauphle-le-Château, Trouville et les Roches Noires. Les maisons comptaient beaucoup. Des maisons, comme une consolation à la perte de la toute première, « la maison-mère ».
 
Car derrière la femme mûre aux célèbres cols roulés, à la voix rocailleuse, il subsistait toujours la petite fille de Sadec. La jeune fille du « bac sur le Mékong ».
Hantée à jamais par l’image d’une mère luttant pour sauver quelques débris des assauts de la mer de Chine, de l’avidité des hommes.
Hantée aussi par l’absence d’un père  
 
Lacan disait de Duras : « Elle s’avère savoir sans moi ce que j’enseigne. »
Et Duras de Lacan : « J’étais abasourdie par Lacan. Et par cette phrase de Lacan  Elle ne doit pas savoir ce qu’elle écrit. Parce qu’elle se perdrait. Et ça serait catastrophique. C’est  devenu pour moi, cette phrase, comme une sorte d’identité de principe, d’un droit de dire totalement ignoré par les femmes. »
 
Immortelle Duras ? Peut-être pas, mais en ces premiers jours de mars où l’on s’apprête à célébrer la Journée internationale pour les droits des femmes, moderne et essentielle.