L’emblème
de cette petite ville du Tessin, en bordure du lac Majeur, se transforme ainsi chaque
année, pour une dizaine de jours, en un félin aux contours insaisissables. Je
m’explique : on a tous en tête le rugissement du célèbre lion de la Métro Goldwyn
Meyer. Presque rassurant. Signe que la séance va bientôt commencer. Le léopard,
lui, ne se contente pas de rugir. Il feule et miaule. Tout en offrant son profil déhanché au spectateur, il le guide
de film en film, de salle en salle, du matin au soir. Infatigable. Bref, tous
lui courent après, festivaliers et potentiels lauréats …
Ici,
on est bien loin d’Hollywood, de ses paillettes, de ses stars. Rien de voyant sous
le soleil, hormis l’imprimé tacheté qui habille la ville, et ses alentours. En
revanche, pas de tapis rouge, ni de tenue d’apparat, pour les acteurs et les réalisateurs venus
parler de leur film, en toute simplicité. Le ton est donné.
Cela semblait plaire à
Isabelle Huppert, invitée pour Les
fau- sses confiden- ces, le dernier film de Luc Bondy. Je de- vrais dire ultime
car le réalisa- teur, également homme de théâ- tre, est décédé en 2015 sans même avoir
pu achever son film. L’émotion était grande aussi quand l’actrice a évoqué Michael
Cimino, autre cinéaste récemment disparu, et Léopard d’or l’an passé. Isabelle
- j’ai envie de l’appeler ainsi - a encensé les deux Michaël de sa vie, Cimino
qui lui a offert son premier grand rôle aux USA dans La Porte du Paradis et Haneke bien sûr avec lequel elle a tourné
plusieurs fois. Difficile de l’oublier…
Pour
autant, et au-delà de ces hommages mé- rités, Locarno se place du côté de la vie.
Intensément. Avec des films comme s’il en pleuvait. Des court-métrages et des
longs, des œuvres en compétition ou pas. Un parfum de pellicule à respirer les
yeux grands ouverts, les sens aux aguets, et toujours sa Carte Pass à portée de
main ! En suivant la trace du léopard, on a ainsi pu retrouver un acteur
un peu perdu de vue, Romain Duris, protagoniste de Cessez le feu ou la petite histoire dans la grande, celle de 14-18,
de ses survivants ; plus loin, des enfants égarés dans une forêt où le
réel le dispute à l’onirique, sous le regard d’un père en proie au spiritisme (Dans la forêt, de Gilles Marchand). Sans
omettre Jason Bourne, la CIA toujours
aux trousses…
Harvey
Keitel, « tête brûlée », éternel rescapé des films de Scorsese ou de
Tarantino, s’est vu décerner un Léopard d’or pour l’ensemble de sa carrière,
tout comme Jane Birkin. A cette dernière, on souhaite de se rétablir vite, très
vite - si j’osais, je dirais à la vitesse du TGV comme pour illustrer son rôle
dans un des court-métrages de cette édition, La femme et le TGV.
Locarno,
c’est aussi une foule de rencontres, la proximité avec le public, une communion
artistique. « Una casa del cinema », en cours d’édification, permettra
prochainement d’accueillir encore davantage de cinéphiles, et les talents de
demain, nommés dans la catégorie « Pardi di domani ». Un seul regret
peut-être, la difficulté à se procurer le programme et les informations sur les
événements plus en amont. La communication d’UBS, principal sponsor du
festival, autour de son Prix du Public ne fait pas tout… Heureuse néanmoins que
le film Moka, thriller entêtant, et
production franco-suisse tournée entre Lausanne et Evian, ait été distingué.
Après
plusieurs jours en quasi immersion, ma route du retour a emprunté le col du
Saint-Gothard.(Locarno est presque posé au pied du my- thique massif).
Gotthard, le film présenté pendant le Pré-Festival,
a d’ailleurs fait la part belle à l’histoire de la construction du tout premier
tunnel, à la fin du 19ème siècle, et à ces centaines d’hommes, de mineurs, immigrés pour la plupart, espagnols,
allemands, italiens, autrichiens, attelés à forer, percer, étayer, bâtir… Un
ouvrage comme une mosaïque de cultures et un fil entre les pays traversés.
La
métaphore du tunnel d’où jaillit le jour, tel une promesse, me rappelle une
anecdote familiale : mon père disait souvent qu’en arrivant en Suisse Italienne,
à l’aube, après avoir roulé toute la nuit, on trouvait toujours le soleil au
bout du tunnel.
Réalité ou magie du
souvenir, peu importe… L’essentiel est d’y croire, de croire au renouveau, même au cœur de la noirceur la plus totale. Godless, le film doublement primé cette année, est à ce titre éloquent. En attendant sa
sortie à l’automne, continuons à profiter du passage de l’ombre à la lumière, et
inversement quand la chaleur se fait lourde et pesante. Du soleil de Locarno au
contraste des salles obscures mais pleines d’esprit, et de tout ce qui illumine
nos vies terrestres. De la lumière fauve…
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire