dimanche 21 août 2016

Sous le soleil de Locarno

C’est La Mecque du film d’auteur, du cinéma indé- pendant. La Nouvelle Vague y a fait ses débuts et les jeunes talents y sont toujours à l’honneur (cf. le palmarès du festival ou Ciné- cure, l’excellent blog d’Aurélien Ferenczi). Un vrai paradis pour cinéphiles. A force d’en entendre parler, j’ai eu envie d’aller y voir de plus près. Même si, pour ma part, le ciel peut attendre...  69ème édition, et plus de 250 films projetés dans les cinémas de la ville, et à la nuit tombée, sur la Piazza Grande, dans la tiédeur de l’été.
Prestigieux ca- dre dont la voute étoilée forme un pla- fond de rêve, digne de Michel-Ange et de ses corps célestes. Du rêve sur la toile aussi, et en grande di- mension, avec un écran géant face aux 8000 spectateurs partageant chaque soir leur amour du cinéma.

L’emblème de cette petite ville du Tessin, en bordure du lac Majeur, se transforme ainsi chaque année, pour une dizaine de jours, en un félin aux contours insaisissables. Je m’explique : on a tous en tête le rugissement du célèbre lion de la Métro Goldwyn Meyer. Presque rassurant. Signe que la séance va bientôt commencer. Le léopard, lui, ne se contente pas de rugir. Il feule et miaule. Tout en offrant  son profil déhanché au spectateur, il le guide de film en film, de salle en salle, du matin au soir. Infatigable. Bref, tous lui courent après, festivaliers et potentiels lauréats …
Ici, on est bien loin d’Hollywood, de ses paillettes, de ses stars. Rien de voyant sous le soleil, hormis l’imprimé tacheté qui habille la ville, et ses alentours. En revanche, pas de tapis rouge, ni de tenue d’apparat,  pour les acteurs et les réalisateurs venus parler de leur film, en toute simplicité. Le ton est donné.

Cela semblait plaire à Isabelle Huppert, invitée pour Les fau- sses confiden- ces, le dernier film de Luc Bondy. Je de- vrais dire ultime car le réalisa- teur, également homme de théâ- tre, est décédé en 2015 sans même avoir pu achever son film. L’émotion était grande aussi quand l’actrice a évoqué Michael Cimino, autre cinéaste récemment disparu, et Léopard d’or l’an passé. Isabelle - j’ai envie de l’appeler ainsi - a encensé les deux Michaël de sa vie, Cimino qui lui a offert son premier grand rôle aux USA dans La Porte du Paradis et Haneke bien sûr avec lequel elle a tourné plusieurs fois. Difficile de l’oublier…
Pour autant, et au-delà de ces hommages mé- rités, Locarno se place du côté de la vie. Intensément. Avec des films comme s’il en pleuvait. Des court-métrages et des longs, des œuvres en compétition ou pas. Un parfum de pellicule à respirer les yeux grands ouverts, les sens aux aguets, et toujours sa Carte Pass à portée de main ! En suivant la trace du léopard, on a ainsi pu retrouver un acteur un peu perdu de vue, Romain Duris, protagoniste de Cessez le feu ou la petite histoire dans la grande, celle de 14-18, de ses survivants ; plus loin, des enfants égarés dans une forêt où le réel le dispute à l’onirique, sous le regard d’un père en proie au spiritisme (Dans la forêt, de Gilles Marchand). Sans omettre Jason Bourne, la CIA toujours aux trousses…

Harvey Keitel, « tête brûlée », éternel rescapé des films de Scorsese ou de Tarantino, s’est vu décerner un Léopard d’or pour l’ensemble de sa carrière, tout comme Jane Birkin. A cette dernière, on souhaite de se rétablir vite, très vite - si j’osais, je dirais à la vitesse du TGV comme pour illustrer son rôle dans un des court-métrages de cette édition, La femme et le TGV.

Locarno, c’est aussi une foule de rencontres, la proximité avec le public, une communion artistique. « Una casa del cinema », en cours d’édification, permettra prochainement d’accueillir encore davantage de cinéphiles, et les talents de demain, nommés dans la catégorie « Pardi di domani ». Un seul regret peut-être, la difficulté à se procurer le programme et les informations sur les événements plus en amont. La communication d’UBS, principal sponsor du festival, autour de son Prix du Public ne fait pas tout… Heureuse néanmoins que le film Moka, thriller entêtant, et production franco-suisse tournée entre Lausanne et Evian, ait été distingué.

Après plusieurs jours en quasi immersion, ma route du retour a emprunté le col du Saint-Gothard.(Locarno est presque posé au pied du my- thique massif).
Gotthard, le film présenté pendant le Pré-Festival, a d’ailleurs fait la part belle à l’histoire de la construction du tout premier tunnel, à la fin du 19ème siècle, et à ces centaines d’hommes, de mineurs, immigrés pour la plupart, espagnols, allemands, italiens, autrichiens, attelés à forer, percer, étayer, bâtir… Un ouvrage comme une mosaïque de cultures et un fil entre les pays traversés.

La métaphore du tunnel d’où jaillit le jour, tel une promesse, me rappelle une anecdote familiale : mon père disait souvent qu’en arrivant en Suisse Italienne, à l’aube, après avoir roulé toute la nuit, on trouvait toujours le soleil au bout du tunnel. 

Réalité ou magie du souvenir, peu importe… L’essentiel est d’y croire, de croire au renouveau,  même au cœur de la noirceur la plus  totale. Godless, le film doublement primé cette année, est à ce titre éloquent. En attendant sa sortie à l’automne, continuons à profiter du passage de l’ombre à la lumière, et inversement quand la chaleur se fait lourde et pesante. Du soleil de Locarno au contraste des salles obscures mais pleines d’esprit, et de tout ce qui illumine nos vies terrestres. De la lumière fauve…