Recette pour voir fleurir un cœur d’artichaut, seul ou en
bouquet (même quand on n’a pas de jardin, même en hiver) :
Choisir en faisant son marché un artichaut de taille
régulière, dont les feuilles-pétales forment une jolie corolle. Le disposer
dans un vase, ou un autre récipient, sans eau, et le conserver ainsi, à l’abri
de la chaleur et de la lumière, jusqu’à apercevoir en son centre les premiers
brins de couleur bleue. Je dis bleu mais cela peut aussi bien être parme ou
mauve. Cela doit dépendre de la variété de l’artichaut et de sa terre de
culture, Camus de Bretagne ou petit violet provençal. En réalité, autant de
nuances que d’espèces botaniques dont la délicate améthyste.
A ce stade de la floraison, suivre l’évolution
quotidiennement jusqu’à ce que le cœur entier soit recouvert de filaments de
couleur. Normalement, quelques jours suffisent à l’éclosion.
Il n’y a maintenant plus rien à faire, sinon à admirer le
résultat, surprenant, sans oublier qu’à ce niveau de maturité, l’artichaut est devenu
impropre à la consommation…
Il va de soi que l’opération peut être renouvelée à volonté,
enfin tant que dure la saison de l’artichaut, et que le cœur vous en dit… C’est
souvent un spécimen oublié dans une arrière-cuisine qui, le premier, offre la
surprise de cette jolie métamorphose. Faisant penser à ces plantes assoiffées
par la main d’un jardinier distrait ou un rien cruel : craignant de mourir,
leur fleuraison n’en est que plus belle.
Si vous avez la chance de vous promener dans la campagne
bretonne, à la fin de l’été, vous pourrez voir fleurir l’artichaut, en plein
champ, tête haute, auréolé d’un feuillage gris-vert se découpant finement sur
l’horizon. Dans la région de Milan et en Vénétie, non content de le manger cru
ou cuit, ou d’admirer ses boutons floraux, on en extrait un certain nectar à la
douce amertume et aux tons ambrés : le Cynar, inspiré du latin, cynara scolymus, nom savant de
l’artichaut.
Si Catherine de Médicis l’emporta dans ses bagages en
quittant Florence pour la cour de France, c’est peut-être que sa réputation de
remède à la mélancolie n’était pas usurpée. A défaut, c’est un excellent remède
aux crises de foi.
Désormais, en employant l’expression, « avoir un cœur
d’artichaut », vous penserez plus à la plante fleurie qu’à un individu au
cœur trop tendre. Restez tout de même sur la défensive si vous tentez
l’expérience avec son cousin, le chardon, autre type d’astéracée, dont la
floraison ajoute à la couleur beaucoup de piquant…
S’il en était des idées comme de l’artichaut. Les oublier un
temps pour les voir renaitre, plus éclatantes et vivaces. Encore faudrait-il garder
la main légère en les remisant, et ne pas les laisser mourir, faute de soins. Gare
aux étourdis et aux négligents, novices ou défricheurs impénitents. Ils
pourraient se voir privés du fruit de leur réflexion, la plus habile soit-elle…
« Il faut cultiver notre jardin », disait Candide.
Pour le bonheur de faire refleurir les pensées et de les cueillir au petit
matin, pleines de rosée ? L’espoir est permis aux jardiniers audacieux…