samedi 18 juillet 2015

Au pays d’Elsa et Aragon


Citoyens du monde, Elsa et Louis n’en étaient pas moins attachés à une maison. 

Copyright Claude Rolland Juillet 2015

Pousser la porte du moulin de Villeneuve offre une clef de lecture des années où ils y vécurent heureux, enfin presque heureux... La verdoyante propriété abrite leur tombeau commun tout en étant un lieu de vie et de création, au travers d’expositions et de rencontres artistiques.
 
Dans la bâtisse, de nombreuses bibliothèques, avec au centre la pièce maîtresse, où coule l’eau vive.

Copyright Claude Rolland Juillet 2015

Beaucoup d’objets, des œuvres uniques, dons de Picasso, Fernand Léger entre autres, ou des souvenirs, le plus souvent rapportés de Russie. Quelques cadeaux aussi, d’Aragon à Elsa, comme ce cheval roux et ce cheval blanc de bois peint, en référence à deux des romans écrits par Elsa Triolet. 

Copyright Claude Rolland Juillet 2015

Les pièces semblent avoir été quittées la veille...à l'image du bureau d’Elsa dont la fenêtre ouverte sur le parc évoque  La chambre à soi  chère à Virginia Woolf. D’où prendre son élan vers d’autres conquêtes féministes.
 
Il y a bien sûr la pendule arrêtée comme « l’heure au cadran de la montre », et tant de ces petits riens qui disent le temps passé là, à travailler, loin des bruits de Paris, mais pas trop loin tout de même…
 
La maison était ouverte aux amis de passage, aux soirées à refaire le monde. Toujours source de l’inspiration du couple, le monde.

 

Et pour les nuits sans sommeil, Elsa avait un remède insolite… Sa collection de polars de la Série Noire, soigneusement dissimulée dans un placard. L’avenir du monde, c’est angoissant parfois…


 
Le lieu foisonne de la passion d’Elsa à détourner les choses, à leur imaginer au-delà d’un usage différent, une autre vie, comme ses célèbres colliers ou les lampes pagaie du salon.
J’avoue m’être attardée, longtemps, devant la salle de bains immense, tout en rose et noir,  aux allures de bonbonnière. Perplexe…
 
C’était cela aussi Elsa Triolet, un goût affiché pour le confort moderne et ses attributs. Voir le frigidaire, premier de la marque, trônant au milieu de la cuisine.
 
Copyright Claude Rolland Juillet 2015
Après sa mort, Aragon ne viendra plus que rarement dans la maison. L’absence lui pesait trop. Entre les murs et le jardin, elle était partout. Le moulin sera légué à l’Etat, en 1982, par choix testamentaire, afin de partager et entretenir les souvenirs du « fou d’Elsa », de sa muse, artiste, intellectuelle, tout à la fois.
 
Si vous passez du côté de Saint Arnoult En Yvelines cet été, à deux pas du péage du même nom, n’hésitez pas à faire le détour. A quitter un temps et sans regrets le flot des vacanciers, pour une visite hors du commun. Voici d'autres clichés pour continuer le voyage…
 
 
Copyright Claude Rolland Juillet 2015
 
Copyright Claude Rolland Juillet 2015
 
Copyright Claude Rolland Juillet 2015
 
Copyright Claude Rolland Juillet 2015

 
Copyright Claude Rolland Juillet 2015


Copyright Claude Rolland Juillet 2015
 
Copyright Claude Rolland Juillet 2015
 

















 

dimanche 5 juillet 2015

Ecrire, késako ?

« Ecrire, c’est tenter de savoir ce qu’on écrirait si on écrivait. »
Marguerite Duras ne croyait pas si bien dire avec cette phrase faussement énigmatique.
C’est quoi en fait le métier d’écrivain ? Une drôle de profession qui rime parfois avec confession. Un jeu dans la mise en scène de la pensée, rebelle, drôle, fugitive…
Aujourd’hui, tout le monde peut écrire. Il suffit d’en avoir l’idée et l’envie. Facebook est comme un  journal, partagé avec le plus grand nombre. Une impression, une photo, quelques lignes et hop, on poste !
Moi, la première… Sans compter l’essor des blogs. Et du storytelling qui a envahi le monde de l’entreprise et de la communication. Mais écrire, ça s’apprend ou pas ? Les ateliers d’écriture, très en vogue, semblent confirmer la tendance. On pourrait ainsi paraphraser Simone de Beauvoir : « On ne naît pas écrivain, on le devient ».
Mais écrire quoi, pour qui et comment au juste ?
 
Regardez Sagan, un premier livre et déjà la signature d’une œuvre.
Ou encore Modiano, toute une vie ou presque à  raconter la même histoire… avec les mêmes personnages un peu troubles. Le Paris de l’occupation, ses ombres. Et pour les faire renaître, une écriture des plus limpides jusqu’au magnifique Pour que tu ne te perdes pas dans le quartier. Ecrire comme une nécessité, une identité retrouvée… On n’imagine pas Modiano faire autre chose dans l’existence. C’est un écrivain. E Basta !
 
Me replongeant dernièrement dans des textes d’Elsa Triolet, je mesurais toute la difficulté qu’elle avait pu avoir à passer du russe, sa langue natale, au français. Contrairement à Nathalie Sarraute, sa compatriote, arrivée en France à l’âge de 2 ans, Elsa a vécu toute son enfance et son adolescence en Russie. Et même si elle écrit alors son journal en français, elle continue à penser en russe. C’est peut-être aussi l’origine de la musique particulière, dissonante parfois, que l’on perçoit dans l’œuvre de la romancière.
L’écriture est inégale, à l’image d’une marche tantôt plus haute, tantôt plus basse, mais nous touche grâce à cette singularité. Toute sa vie Elsa aura écrit, de Fraise des Bois à l’ultime publication,  Le rossignol se tait à l’aube. Ce dernier livre est un aller et retour entre l’ici et maintenant, et ce passé qui a fini par passer… Un testament ombré d’un doute, celui d’avoir été bien comprise, et de la peur d’être restée une étrangère, malgré tout …
 
La militante, la combattante que fut Elsa s’éloigne. L’époque est à d’autres luttes. La littérature aussi a changé. C’est l’aube du nouveau roman. Des voix se taisent, d’autres s’élèvent. Le rossignol a fini de chanter…
 
En allant visiter la maison d’Elsa et de Louis, au Moulin de Villeneuve à Saint Arnould, dans quelques jours, j’aurai en tête ses mots à elle, ses mots à lui, comme l’épitaphe sur leur tombe. Mais aussi une clarté telle la lumière des étoiles mortes qui continue à briller, longtemps après. Quand elles brillent en duo, c’est encore plus beau…
Un éclat, un rayonnement dans la nuit.
Aragon, extrait de La rose et le réséda, pour finir de nous éclairer :    
 
                            Celui qui croyait au ciel
                            Celui qui n’y croyait pas
                            Tous deux adoraient la belle,
                            Prisonnière des soldats…..   
                            Lequel montait à l’échelle
                            Et lequel guettait en bas
                            Celui qui croyait au ciel
                            Celui qui n’y croyait pas
                            Qu’importe comment s’appelle
                            Cette clarté sur leur pas
                            Que l’un fut de la chapelle
                            Et l’autre s’y dérobât
                            Celui qui croyait au ciel
                            Celui qui n’y croyait pas