dimanche 4 décembre 2016

« Lyon à l’italienne »

Plus de 200 ! Ils étaient  nombreux à avoir fait le déplacement des quatre coins de la Métropole lyonnaise jusqu’à la mairie du 3ème arrondissement en ce premier vendredi du mois. Au dehors, un froid sec,  piquant, presque digne d’un  8 décembre... Une fois franchi le seuil du 215 rue Duguesclin, et grimpé l’escalier d’honneur, des tables jonchées de panettoni  invitaient chacun  à célébrer « Lyon à l’Italienne ».
Une initiative guidée par un élan de géné- rosité envers les sinistrés d’Ombrie : pour chaque panet- tone vendu, deux euros reversés à une association caritative.

Dans la salle Brouillard, les visiteurs s’installent, certains se saluant au passage, des habitués de la Maison des Italiens pour la plupart. Vous savez, cette maison de la rue du Dauphiné dont je ne me lasse pas de vous parler, de saison en saison … comme des racines qui nous unissent et ne demandent qu’à s’épanouir. .. 
Certains dans l’assemblée connaissent déjà le livre de Jean-Luc De Ochandiano  ou s’apprêtent à le découvrir traduit en langue ita- lienne. D’autres encore, passionnés par l’histoire de l’immigration à Lyon, et plus précisément  celle de la Guillotière, fameux lieu de brassage des cultures et des mémoires, ont simplement poussé la porte de la maison commune. Sans façons. Quoique d’horizons divers, les uns et les autres sont venus écouter Jean-Luc De Ochandiano raconter comment  les populations transalpines se sont sédentarisées au fil du temps et des différentes vagues d’arrivants. Il faut dire que notre conférencier maitrise son sujet : les Italiens à la Guillotière de 1850 à 1980. Alors, après quelques mots d’accueil à l’adresse du public, Jérôme Maleski et moi-même lui cédons bien volontiers la parole.

Au travers de termes  choisis, de photos d’ar- chives, d’anec- dotes,  les ima- ges du passé surgissent et revivent : ici, un musicien am- bulant accom- pagné de son « piffero » , sorte de petite flûte ; plus loin, l’artisan figuriste vendant ses statuettes au passant, ou encore le montreur d’ours. Une culture qui descend dans  la rue et nourrit l’imaginaire. Avant 1850, la Guillotière était encore un faubourg indépendant, la vie y était bien moins chère qu’ailleurs. Le logement abordable facilitait les mouvements de population, le plus souvent des saisonniers, des paysans et enfin l’arrivée des premiers ouvriers des Brotteaux. Mais l’endroit n’était pas très sûr et pas très fréquentable.

A partir de 1880, et le grand plan d’ur- banisation de La Presqu’île, d’autres géné- rations  d’ita- liens venus bâtir et embellir la ville, ouvrent  de petits commer-ces à la Guillotière, épiceries ou cafés. Des endroits  où il faisait bon se retrouver après le travail, et parler politique. Des entreprises du bâtiment s’y implantent  comme les établissements Denis Cerutti  au 5 rue Bonnefoi,  le siège actuel du Centre Social. Quelques réussites, même modestes. Pour autant, l’histoire de ces hommes ne fut jamais facile. Dans les périodes de tension économique et sociale, l’italien redevient  l’étranger, celui dont on se méfie et qu’on finit par chasser. Deux exemples frappants : à la fin du 19ème siècle, période de crise et de récession, on refuse aux italiens l’accès aux chantiers,  pour favoriser l’emploi d’ouvriers français. Ils deviennent de vulgaires « macaronis », et sous ce vocable méprisant des  victimes de la xénophobie ambiante.

Autre épisode marquant, le 24 juin 1894, avec l’assassinat du président Sadi Carnot, perpétré à Lyon par un anarchiste du nom de Santo Geronimo Caserio.  De l’auteur de ce geste, la foule en colère ne retiendra que l’origine, italienne. Plusieurs jours de représailles s’ensuivront, et la rive gauche du Rhône, en particulier la Guillotière et ses commerces, seront dévastés aux cris d’ « A bas l’Italie » ou « A l’eau les macaronis ». Des menaces à peine voilées... Entre les deux guerres, c’est le fascisme et Mussolini qui jetteront hors d’Italie les opposants au régime. A la Guillotière, ces réfugiés politiques, souvent des communistes,  animent la Maison du peuple, la Casa del popolo,  qui s’élevait en lieu et place de l’actuelle école Painlevé. Le 6ème congrès du PCI s’y tiendra clandestinement en  1926, en présence de Gramsci.

Une époque qui nous rappelle furieusement la nôtre, à la croi- sée des che- mins… Et qui ravive bien des souvenirs  à ceux dont le parcours familial et personnel rejoint celui des protagonistes de « Lyon à l’Italienne ». Beaucoup étaient prompts  à s’en émouvoir vendredi soir et à s’inquiéter de l’avenir de leurs enfants et petits-enfants. De la fin d’un monde. D’autant plus quand rôde en Europe le fantôme des années 30, et plane la menace du « non » à Mattéo Renzi lors du référendum  en Italie.

Alors, au moment de partager le verre de l’amitié, c’est le traditionnel « facciamo un brindisi » qui était sur toutes les lèvres, avec dans le rôle du chef de chœur Danilo Vezzio, l’infatigable défenseur de la Maison des Italiens de Lyon et de la fraternité entre les peuples. C’est d’ailleurs sur le rôle social des associations italiennes nées après la seconde guerre mondiale que la conférence s’est achevée.

Une prestation réussie pour Jean Luc De Ochandiano que je remercie de m’avoir genti- ment confié ses notes, très utiles pour la rédac- tion de cet article. Pour en savoir plus, il suffit de se référer au livre paru aux éditions Lieux Dits, et disponible en librairie. En prime, parce que cette histoire est aussi la mienne, celle d’une petite-fille d’immigré italien, comme un(e) lyonnais) sur quatre, voici ci-dessous les paroles du chant des brindisis. A accompagner d’un morceau de panettone, s’il en reste…  Et promis, on se retrouve prochainement  pour un nouvel épisode de la saga « Maison des Italiens » !

Alla salute dei nostri padri
Facciamo un brindisi
Facciamo un brindisi
Alla salute dei nostri padri
Facciamon un brindisi, … 
In socièta

A la santé de nos pères (de nos ancêtres)
Portons un toast
Portons un toast
A la santé de nos pères
Portons un toast...
en société (en bonne compagnie)  


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