samedi 7 avril 2018

Higelin, le magicien



La grâce, on l’a ou on ne l’a pas. Assurément, il l’avait. Eternel enfant, grand frère, joyeux drille, lutin fantasque, mais avant tout un très grand poète, tel était Jacques Higelin. Je parle de lui à l’imparfait alors que je le vois toujours en magicien de la vie, prêt à faire sortir mille colombes de son chapeau pour sécher les larmes de ses amis. Il le faisait d’ailleurs au travers de ses chansons, un geste comme un cadeau offert au plus grand nombre. Depuis hier matin, ses mots tournent en boucle dans ma tête. Il faut dire que la musique d’Higelin a accompagné mes années d’adolescence, de celles qui s’impriment avec une énergie pure et l’insolence de la jeunesse. « Champagne » magnifié par sa débauche de muses fauves et de spectres endiablés aura marqué à jamais mes années lycée ! Je ne suis pas la seule...

Alors oui, il emporte un peu de nous en partant, et on a envie de lui crier : Reviens ! Reviens Jacques ! Reviens bercer nos nuits d’insomnie, reviens planer dans l’averse qui ravive le jardin, reviens nous parler de tes rêves d’un monde meilleur, dénué de frontières, reviens nous hanter sans fin… « Tombe du ciel ! » encore une fois. Une dernière fois… Le printemps est là, celui des poètes, celui des amoureux, des fous chantants et de leur imagination débridée. Sur scène, tu virevoltais sans cesse, sautillant, d’une énergie folle qui ne laissait que peu de répit au public. Toi qui ne tenais pas en place, comment vas-tu faire maintenant, à l’étroit sous une pierre. Au pied d’un arbre peut-être ? Tu aimais les vieux arbres, les plus que centenaires, et tu te voyais finir comme eux… En elfe ébouriffé, des pieds à la tête mais solidement enraciné. Pas seulement une herbe folle, libre entre deux cailloux.

La vie va continuer bien sûr. Dans les transports en commun, on va fredonner tes chansons, et même pendant la grève des cheminots, on continuera notre chemin en chantant, dans la rue, dans les embouteillages, à pieds, à vélo. En se tenant par la main, enlacés par la taille. Dans les amphis occupés, les étudiants siffleront tes airs préférés. Et même sur les barricades ! Là, je m’égare un peu… Mais c’est ta faute aussi, tu nous fausses compagnie avant le mois de mai, le plus joli de l’année. Et puis,  j’imagine qu’au fond de tes tiroirs, tu avais gardé quelques pépites en réserve. Pas pour que tes enfants se disputent l’ héritage mais pour nous, pour nous dire adieu simplement, au son d’une guitare ou d’un accordéon désaccordé, d’un piano brinquebalant, les yeux en l’air, la mine réjouie.
Maintenant, je vais réécouter toutes tes chansons, quitte à faire hurler les voisins. N’appelez pas la police tout de même ! Demain, c’est dimanche et comme le dit l’ami Fersen, cet autre baladin « On ira danser, danser au bal des oiseaux… » Et même s’il pleut, on s’en fout, on improvisera, comme tu savais si bien le faire…  

Véronique Collucci aussi s’en est allée. Sur la pointe des pieds. Vous aviez en commun le respect de la vie et l’attention aux autres. Le souci des belles causes. Pour elle, c’était les restos du cœur. Pour toi, la lutte contre le mal logement. Des combats qui vont continuer mais sans vous. Une double perte.