Camille, tu t’appelais Camille… Née le 8 décembre 1864, à Fère-en-Tardenois, tu
as grandi entre un père attentif et aimant et un frère trop aimé. Rebelle à ton
temps, aux codes de la bourgeoisie bien-pensante, condamnée à la réclusion pour
avoir osé t’affirmer comme artiste et surtout comme femme, indépendante. Faire
poser des hommes dans ton atelier de l’Ile Saint Louis t’aura attiré les
foudres de tes contemporains et de certains de tes pairs. D’insoumise, tu es finalement devenue indésirable…
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Rodin par Camille Claudel |
De Rodin, tu disais qu’il t’avait tout pris, tout volé, ta
jeunesse et ton art. Tu lui en voulais tellement de t’avoir abandonnée… Il a
fini par emporter ta raison, avant de te faire une place à ses côtés dans
l’Hôtel Biron, musée qui portera son nom et où une salle d’exposition t’est
réservée dès 1914. Il mourra trois ans après. Mais pour toi à cette date, il
est déjà trop tard…
De votre passion, il reste une oeuvre aux influences
croisées. Le génie de Rodin qui façonnait ses créatures dans l’espace et leur
offrait une dimension puissante et inédite, parfois jugée monstrueuse à l’image
de son Balzac mal dégrossi.
Ta recherche de formes nouvelles en prise avec la
matière.
Vous vous êtes nourris l’un de l’autre, avec adoration.
Rodin disait de toi : « Je lui ai montré où trouver de l’or mais
l’or qu’elle trouve est bien à elle. »
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Camille au bonnet |
Tu lui as donné le goût de
sujets plus intimes comme cette Camille au bonnet te représentant, ou
encore cette figure d’Aurore ou la France, née de ton profil.
Et puis il y a l’héritage de votre travail en commun, votre
complicité telle Le baiser, instant de grâce suspendu. La
sculpture était à l’origine destinée à orner la porte des enfers, entre quête
du bonheur et damnation.
Cette veine-là, tu l’as poursuivie dans ton propre
travail avec Sakuntala et plus tard La Valse. Quoique d’inspiration
différente, j’aime beaucoup La petite châtelaine. Peut-être parce
qu’elle reflète une époque heureuse de ta vie avec Rodin, à la campagne.
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Le baiser |
Toi, tu avais l’amour de la terre depuis l’enfance, cette
terre glaise que tu modelais, caressais, et faisais vivre sous tes doigts. Tu
étais douée. Ton premier professeur, le sculpteur Boucher, avait vite compris
la force de ton talent, son côté irréductible. Nogent ne pourrait le contenir.
Tu devais te confronter aux plus grands. A Paris où ta famille a fini par
s’installer. Là, où tu feras bientôt la rencontre d’Auguste Rodin.
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Paul Claudel par Camille |
Mais l’autre homme de ta vie, celui qui décidera de ton
destin, c’est ton frère
Paul, le dernier de la famille Claudel, fasciné par ta
volonté, mais aussi inquiet de ton caractère intransigeant, de ta soif d’absolu.
Tu lui faisais peur sans doute, car pour affronter ses propres démons, il avait
besoin du rempart de certaines conventions dont tu faisais fi. Etais-tu devenue
une gêne pour l’accomplissement de sa carrière ? Certes, tu dérangeais
l’ordre établi. A la mort de votre père, ton dernier secours, tu seras internée
pour troubles paranoïaques. Privée de tes biens et de ta liberté, empêchée, tu
erreras dans un purgatoire aux portes d’Avignon, drôle d’asile ouvert aux vents
mauvais. Pendant plus de trente ans. Folle, aliénée, on le deviendrait à moins
que ça…
Pourtant, tu n’auras cessé d’admirer ce frère et sa poésie aux accents fiévreux. D’attendre ses
visites dans la nuit de ta vie, jusqu’à la fin en 1943. Vous en aviez tellement
rêvé ensemble de cette gloire du temps de votre jeunesse prometteuse. Condamnée
à l’oubli, tu n’as pas même eu droit à une sépulture à ton nom. Tu es morte de
faim dans cette France de Vichy qui faisait peu de cas des malades des hôpitaux
psychiatriques.
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L'age mûr |
De toi, je ne savais presque rien jusqu’à la parution du
livre d’Anne Delbée, Une femme. Juste ton passé de sculptrice et
l’histoire de ta passion avec Rodin.
De ton frère, je savais le nom et connaissais quelques
pièces.
Dire que la découverte de ces années d’enfer m’a émue et révoltée
est un euphémisme. Plus que d’injustice, il s’agissait de trahison. D’une
relégation tragique. Au-delà de ta personne, il s’agissait d’une atteinte au
droit des femmes à vivre, loin de la tutelle d’un père, d’un frère, d’un mari.
D’un droit universel trop souvent bafoué.
Toi, tu voulais juste continuer le travail de création
auquel tu avais voué ton existence. Tu avais seulement 48 ans ce matin de
septembre 1913 quand ils t’ont emportée….
Un jour, dans un parc, j’ai entendu ton nom. Ce n’était pas
toi bien sûr qu’on appelait mais une petite fille. Elle ne voulait pas s’en
aller, quitter ses châteaux de sable… Quand j’ai eu une fille, moi aussi je
l’ai appelée Camille. En souvenir de cet instant mais aussi en pensant à toi.
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La Petite Chatelaine |
Camille la vie, c’est un superbe enfer, et Dieu est un
curieux sculpteur qui tue les statues qu’il préfère. Ainsi chantait Serge
Reggiani pour te rendre hommage, Camille.
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