lundi 7 mars 2016

Ode à Camille

Camille, tu t’appelais Camille… Née  le 8 décembre 1864, à Fère-en-Tardenois, tu as grandi entre un père attentif et aimant et un frère trop aimé. Rebelle à ton temps, aux codes de la bourgeoisie bien-pensante, condamnée à la réclusion pour avoir osé t’affirmer comme artiste et surtout comme femme, indépendante. Faire poser des hommes dans ton atelier de l’Ile Saint Louis t’aura attiré les foudres de tes contemporains et de certains de tes pairs. D’insoumise, tu  es finalement devenue indésirable…



Rodin par Camille Claudel
De Rodin, tu disais qu’il t’avait tout pris, tout volé, ta jeunesse et ton art. Tu lui en voulais tellement de t’avoir abandonnée… Il a fini par emporter ta raison, avant de te faire une place à ses côtés dans l’Hôtel Biron, musée qui portera son nom et où une salle d’exposition t’est réservée dès 1914. Il mourra trois ans après. Mais pour toi à cette date, il est déjà trop tard…

De votre passion, il reste une oeuvre aux influences croisées. Le génie de Rodin qui façonnait ses créatures dans l’espace et leur offrait une dimension puissante et inédite, parfois jugée monstrueuse à l’image de son Balzac mal dégrossi.

Ta recherche de formes nouvelles en prise avec la matière.

Vous vous êtes nourris l’un de l’autre, avec adoration. Rodin disait de toi : « Je lui ai montré où trouver de l’or mais l’or qu’elle trouve est bien à elle. »

Camille au bonnet

Tu lui as donné le goût de sujets plus intimes comme cette Camille au bonnet te représentant, ou encore cette figure d’Aurore ou la France, née de ton profil.
Et puis il y a l’héritage de votre travail en commun, votre complicité telle Le baiser, instant de grâce suspendu. La sculpture était à l’origine destinée à orner la porte des enfers, entre quête du bonheur et damnation.

La valse
Cette veine-là, tu l’as poursuivie dans ton propre travail avec Sakuntala et plus tard La Valse. Quoique d’inspiration différente, j’aime beaucoup La petite châtelaine. Peut-être parce qu’elle reflète une époque heureuse de ta vie avec Rodin, à la campagne.


Le baiser
Toi, tu avais l’amour de la terre depuis l’enfance, cette terre glaise que tu modelais, caressais, et faisais vivre sous tes doigts. Tu étais douée. Ton premier professeur, le sculpteur Boucher, avait vite compris la force de ton talent, son côté irréductible. Nogent ne pourrait le contenir. Tu devais te confronter aux plus grands. A Paris où ta famille a fini par s’installer. Là, où tu feras bientôt la rencontre d’Auguste Rodin.


Paul Claudel par Camille
Mais l’autre homme de ta vie, celui qui décidera de ton destin, c’est ton frère
Paul, le dernier de la famille Claudel, fasciné par ta volonté, mais aussi inquiet de ton caractère intransigeant, de ta soif d’absolu. Tu lui faisais peur sans doute, car pour affronter ses propres démons, il avait besoin du rempart de certaines conventions dont tu faisais fi. Etais-tu devenue une gêne pour l’accomplissement de sa carrière ? Certes, tu dérangeais l’ordre établi. A la mort de votre père, ton dernier secours, tu seras internée pour troubles paranoïaques. Privée de tes biens et de ta liberté, empêchée, tu erreras dans un purgatoire aux portes d’Avignon, drôle d’asile ouvert aux vents mauvais. Pendant plus de trente ans. Folle, aliénée, on le deviendrait à moins que ça…

Pourtant, tu n’auras cessé d’admirer ce frère et sa  poésie aux accents fiévreux. D’attendre ses visites dans la nuit de ta vie, jusqu’à la fin en 1943. Vous en aviez tellement rêvé ensemble de cette gloire du temps de votre jeunesse prometteuse. Condamnée à l’oubli, tu n’as pas même eu droit à une sépulture à ton nom. Tu es morte de faim dans cette France de Vichy qui faisait peu de cas des malades des hôpitaux psychiatriques.

L'age mûr
De toi, je ne savais presque rien jusqu’à la parution du livre d’Anne Delbée, Une femme. Juste ton passé de sculptrice et l’histoire de ta passion avec Rodin.
De ton frère, je savais le nom et connaissais quelques pièces.
Dire que la découverte de ces années d’enfer m’a émue et révoltée est un euphémisme. Plus que d’injustice, il s’agissait de trahison. D’une relégation tragique. Au-delà de ta personne, il s’agissait d’une atteinte au droit des femmes à vivre, loin de la tutelle d’un père, d’un frère, d’un mari. D’un droit universel trop souvent bafoué.

Toi, tu voulais juste continuer le travail de création auquel tu avais voué ton existence. Tu avais seulement 48 ans ce matin de septembre 1913 quand ils t’ont emportée….

Un jour, dans un parc, j’ai entendu ton nom. Ce n’était pas toi bien sûr qu’on appelait mais une petite fille. Elle ne voulait pas s’en aller, quitter ses châteaux de sable… Quand j’ai eu une fille, moi aussi je l’ai appelée Camille. En souvenir de cet instant mais aussi en pensant à toi.


La Petite Chatelaine


Camille la vie, c’est un superbe enfer, et Dieu est un curieux sculpteur qui tue les statues qu’il préfère. Ainsi chantait Serge Reggiani pour te rendre hommage, Camille.


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