dimanche 20 mars 2016

Pas de printemps pour Mamie…

Voilà, je l’ai appris le week-end dernier  et cette fois c’est fini.  Ma grand-mère est définitivement partie. Elle était hospitalisée depuis des années. Peu après le décès de mon grand-père. Elle avait alors perdu le goût de l’existence et petit à petit la conscience du temps qui passe.

 Des années à voyager dans sa tête et  à réinventer le passé. Perdre la mémoire, c’est aussi refuser  d’affronter la réalité quand elle fait trop mal. Son histoire est certes  banale mais c’est la sienne, l’histoire d’une femme qui a partagé sa vie entre son mari et sa famille, a élevé ses enfants,  trois filles. Une femme au foyer comme beaucoup d’autres dans les années cinquante.  Le progrès avait soudain envahi son ménage : la première machine à laver, la première télévision, les premières courses en voiture au supermarché. Fini le cabas et la corvée de linge ordinaire. Sans oublier  l’installation du téléphone à domicile. Plus besoin d’aller au café d’en face ! Elle était très fière de posséder ces objets tout neufs,  et d’afficher ainsi  son entrée dans l’ère moderne, fût-ce  au travers de la consommation. Après une enfance difficile,  à chercher sa place, puis  la guerre et les privations, c’était une sorte de revanche.  Elle n’était pas riche mais possédait  une maison et un jardin, et leur apportait une attention quotidienne. Un soin presque draconien.

Progressivement, le terrain autour de la maison s’était agrandi, un petit bois derrière, et une mare, petite, mais jolie avec ses grenouilles et ses nénuphars. J’y avais ma balançoire… Mon grand-père ne ménageait pas non plus sa peine pour rendre la petite propriété plus confortable. Pas de week-end, ni de vraies vacances mais la satisfaction de ce bien-être matériel acquis à coup de sacrifices. Et puis cela le rendait heureux de construire cela avec  ma grand-mère. Une bâtisse solide à l’aune de leur couple.

A la campagne, la terre, ça compte. Le printemps était je crois sa saison préférée. Elle guettait l’apparition des jonquilles et des crocus. Précédés des perce-neige, les toutes premières fleurs  signant la fin de l’hiver. Et il était rigoureux l’hiver en ce temps-là,  des températures en-dessous de zéro des jours durant et du givre, parfois même de la glace aux fenêtres.  Alors, forcément le printemps était attendu comme une résurrection. Pour autant elle n’était guère croyante ma grand-mère et elle se méfiait  de l’emprise de la religion sur les esprits. Elle votait à gauche et ne s’en cachait pas. Pour rien au monde elle n’aurait manqué une élection. Sans être une militante, elle devait exercer une certaine influence autour d’elle. Par sa liberté de paroles mais aussi par sa présence rayonnante. Il faut dire qu’elle était belle, très belle même dans sa jeunesse. Petite, j’adorais regarder ses anciennes photos rangées dans des boites en carton.

Parmi les nombreux souvenirs qui me restent d’elle,  il y a l’image de sa machine à coudre, une Singer à pédales. Toutes mes robes ou presque avaient eu  affaire à elle un jour ou l’autre… Je crois que j’ai encore son ronronnement en tête. J’aimais regarder ma grand-mère piquer le tissu ou l’été travailler au jardin, coiffée d’un grand chapeau, et le soir l’aider à arroser le potager ou les rangées de fleurs. Je me souviens  du massif de capucines,  un peu caché derrière la maison. Leur couleur vive, presque criarde me ravissait.

Je me souviens aussi des vacances là-bas de mon frère et de notre  cousin du même âge. Et du jour où ils ont eu l’idée de changer la répartition des petits  lapins dans les différents clapiers…  Ils trouvaient tellement injuste que certains aient eu des portées et d’autres pas.  Aie, aie, aie, catastrophe car beaucoup de lapereaux  n’ont pas survécu à ce nouvel ordre des choses. L’intention était bonne mais on ne force pas impunément la nature, ni  le sentiment maternel…

Comme on ne retient pas le souffle d’une vieille dame de 95 ans, surtout quand elle a déjà déserté la compagnie de ses semblables. Il restait à ma grand-mère un ultime voyage à accomplir. Ces quelques mots sont pour elle, comme ces quelques fleurs de printemps pour l’accompagner. Je lui devais bien ça, comme je lui dois mon deuxième prénom, Paule. Il me rappellera toujours sa mémoire.  

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