Voilà, je l’ai appris le week-end dernier et cette fois c’est fini. Ma grand-mère est définitivement partie. Elle
était hospitalisée depuis des années. Peu après le décès de mon grand-père. Elle
avait alors perdu le goût de l’existence et petit à petit la conscience du
temps qui passe.
Des années à voyager dans sa tête et à réinventer le passé. Perdre la mémoire,
c’est aussi refuser d’affronter la réalité
quand elle fait trop mal. Son histoire est certes banale mais c’est la sienne, l’histoire d’une
femme qui a partagé sa vie entre son mari et sa famille, a élevé ses enfants, trois filles. Une femme au foyer comme
beaucoup d’autres dans les années cinquante.
Le progrès avait soudain envahi son ménage : la première machine à
laver, la première télévision, les premières courses en voiture au supermarché.
Fini le cabas et la corvée de linge ordinaire. Sans oublier l’installation du téléphone à domicile. Plus
besoin d’aller au café d’en face ! Elle était très fière de posséder ces
objets tout neufs, et d’afficher ainsi son entrée dans l’ère moderne, fût-ce au travers de la consommation. Après une
enfance difficile, à chercher sa place,
puis la guerre et les privations,
c’était une sorte de revanche. Elle
n’était pas riche mais possédait une
maison et un jardin, et leur apportait une attention quotidienne. Un soin
presque draconien.
Progressivement, le terrain autour de la maison s’était
agrandi, un petit bois derrière, et une mare, petite, mais jolie avec ses
grenouilles et ses nénuphars. J’y avais ma balançoire… Mon grand-père ne
ménageait pas non plus sa peine pour rendre la petite propriété plus
confortable. Pas de week-end, ni de vraies vacances mais la satisfaction de ce
bien-être matériel acquis à coup de sacrifices. Et puis cela le rendait heureux
de construire cela avec ma grand-mère.
Une bâtisse solide à l’aune de leur couple.
A la campagne, la terre, ça compte. Le printemps était je crois sa saison préférée. Elle guettait l’apparition des jonquilles et des crocus. Précédés des perce-neige, les toutes premières fleurs signant la fin de l’hiver. Et il était rigoureux l’hiver en ce temps-là, des températures en-dessous de zéro des jours durant et du givre, parfois même de la glace aux fenêtres. Alors, forcément le printemps était attendu comme une résurrection. Pour autant elle n’était guère croyante ma grand-mère et elle se méfiait de l’emprise de la religion sur les esprits. Elle votait à gauche et ne s’en cachait pas. Pour rien au monde elle n’aurait manqué une élection. Sans être une militante, elle devait exercer une certaine influence autour d’elle. Par sa liberté de paroles mais aussi par sa présence rayonnante. Il faut dire qu’elle était belle, très belle même dans sa jeunesse. Petite, j’adorais regarder ses anciennes photos rangées dans des boites en carton.
Parmi les nombreux souvenirs qui me restent d’elle, il y a l’image de sa machine à coudre, une
Singer à pédales. Toutes mes robes ou presque avaient eu affaire à elle un jour ou l’autre… Je crois
que j’ai encore son ronronnement en tête. J’aimais regarder ma grand-mère
piquer le tissu ou l’été travailler au jardin, coiffée d’un grand chapeau, et le
soir l’aider à arroser le potager ou les rangées de fleurs. Je me souviens du massif de capucines, un peu caché derrière la maison. Leur couleur vive,
presque criarde me ravissait.
Je me souviens aussi des vacances là-bas de mon frère et de
notre cousin du même âge. Et du jour où
ils ont eu l’idée de changer la répartition des petits lapins dans les différents clapiers… Ils trouvaient tellement injuste que certains
aient eu des portées et d’autres pas. Aie,
aie, aie, catastrophe car beaucoup de lapereaux n’ont pas survécu à ce nouvel ordre des
choses. L’intention était bonne mais on ne force pas impunément la nature, ni le sentiment maternel…
Comme on ne retient pas le souffle d’une vieille dame de 95
ans, surtout quand elle a déjà déserté la compagnie de ses semblables. Il
restait à ma grand-mère un ultime voyage à accomplir. Ces quelques mots sont
pour elle, comme ces quelques fleurs de printemps pour l’accompagner. Je lui
devais bien ça, comme je lui dois mon deuxième prénom, Paule. Il me rappellera
toujours sa mémoire.
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