« Monstre sacré », c’est une expression qui lui va
bien. Il y a un an, on célébrait le centenaire de la naissance de Marguerite
Duras.
Des hommages dans la presse, un hors série Télérama, des
inédits. Une écriture toujours vivante. Ne disait-elle pas : « Même
morte, j’écrirai encore… » ?
D’ailleurs, je me souviens très bien du jour de sa mort, ou
plutôt de l’annonce de sa mort. C’était à la radio, en voiture. Dehors, la
pluie et dedans la tristesse.
Duras, on l’aimait ou pas. C’est comme ça … Et je fais
partie de ceux qui l’appréciaient, malgré son côté pythie et ses sentences. Ou
de son admiration inconditionnelle pour Hervé
Vilard. De Capri c’est fini, elle affirmait que c’était la plus belle
chanson d’amour au monde…
Avant les années 80 et le succès de L’amant, Duras
est un écrivain un peu à part. Le récit de l’aventure entre Marguerite
Donnadieu et L’amant de la Chine du Nord va la rendre universelle. Epure
du style narratif et complexité des sentiments. Perversité des rapports
familiaux.
Cette histoire, c’est aussi celle du Barrage contre le
Pacifique, la figure de la mère entre courage et folie, les frères…
De ce livre, Laure Adler disait qu’il avait, pour elle, su
substituer le temps présent, celui de la
perte d’un enfant, au temps de l’auteur. Une douleur chassant l’autre.
Tous les lecteurs du Barrage n’ont pas ce vécu.
Pour autant, de la lecture de Duras, on ne sort jamais
indemne. Il y a le temps de la rencontre, puis celui du voyage, beau mais
inquiétant. Les personnages, la mendiante du Gange, le vice-consul, Lol V
Stein, le bac sur le Mékong, le fleuve lui-même, sont les éléments clef d’un
univers à la fois onirique et réel.
On a prétendu que l’histoire de L’amant était pure invention.
Qu’importe où commence l’imaginaire et s’il dépasse la réalité. Le texte nous
emmène dans cette colonie d’Indochine où
pouvoir et corruption ont dépossédé une femme de ses biens, terre,
maison, réputation, raison. La ruine est
autant morale que matérielle et les enfants de Sadec ne sont plus soumis aux
mêmes codes que les autres enfants blancs. La relation entre le Chinois et la
jeune fille, « l’enfant », disait Duras, histoire improbable
dans d’autres circonstances, peut alors naître.
C’est un an après que je m’associe à l’hommage rendu à un
écrivain hors norme - mon blog a seulement quelques mois d’existence - et à son
œuvre littéraire, théâtrale, cinématographique, construction de toute une vie.
De la musique Moderato cantabile, au testament Ecrire.
Duras, c’est encore les lieux d’inspiration, les refuges, selon
les époques. L’appartement de la rue Saint Benoît, la Maison de Neauphle-le-Château,
Trouville et les Roches Noires. Les maisons comptaient beaucoup. Des maisons,
comme une consolation à la perte de la toute première, « la maison-mère ».
Car derrière la femme mûre aux célèbres cols roulés, à la
voix rocailleuse, il subsistait toujours la petite fille de Sadec. La
jeune fille du « bac sur le Mékong ».
Hantée à jamais par l’image d’une mère luttant pour sauver
quelques débris des assauts de la mer de Chine, de l’avidité des hommes.
Hantée aussi par l’absence d’un père …
Lacan disait de Duras : « Elle s’avère savoir sans
moi ce que j’enseigne. »
Et Duras de Lacan : « J’étais abasourdie par
Lacan. Et par cette phrase de Lacan Elle ne doit pas savoir ce qu’elle
écrit. Parce qu’elle se perdrait. Et ça serait catastrophique. C’est devenu pour moi, cette phrase, comme une
sorte d’identité de principe, d’un droit de dire totalement ignoré par les
femmes. »
Immortelle Duras ? Peut-être pas, mais en ces premiers
jours de mars où l’on s’apprête à célébrer la Journée internationale pour les
droits des femmes, moderne et essentielle.
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