lundi 2 mars 2015

Marguerite Duras, 100 + 1

« Monstre sacré », c’est une expression qui lui va bien. Il y a un an, on célébrait le centenaire de la naissance de Marguerite Duras.
Des hommages dans la presse, un hors série Télérama, des inédits. Une écriture toujours vivante. Ne disait-elle pas : « Même morte, j’écrirai encore… » ?

D’ailleurs, je me souviens très bien du jour de sa mort, ou plutôt de l’annonce de sa mort. C’était à la radio, en voiture. Dehors, la pluie et dedans la tristesse.
Duras, on l’aimait ou pas. C’est comme ça … Et je fais partie de ceux qui l’appréciaient, malgré son côté pythie et ses sentences. Ou de son admiration inconditionnelle  pour Hervé Vilard. De Capri c’est fini, elle affirmait que c’était la plus belle chanson d’amour au monde…
 

Avant les années 80 et le succès de L’amant, Duras est un écrivain un peu à part. Le récit de l’aventure entre Marguerite Donnadieu et L’amant de la Chine du Nord va la rendre universelle. Epure du style narratif et complexité des sentiments. Perversité des rapports familiaux.
Cette histoire, c’est aussi celle du Barrage contre le Pacifique, la figure de la mère entre courage et folie, les frères…
De ce livre, Laure Adler disait qu’il avait, pour elle, su substituer le temps présent, celui de la  perte d’un enfant, au temps de l’auteur. Une douleur chassant l’autre.
Tous les lecteurs du Barrage n’ont pas ce vécu.
Pour autant, de la lecture de Duras, on ne sort jamais indemne. Il y a le temps de la rencontre, puis celui du voyage, beau mais inquiétant. Les personnages, la mendiante du Gange, le vice-consul, Lol V Stein, le bac sur le Mékong, le fleuve lui-même, sont les éléments clef d’un univers à la fois onirique et réel.
 
On a prétendu que l’histoire de L’amant était pure invention. Qu’importe où commence l’imaginaire et s’il dépasse la réalité. Le texte nous emmène dans cette colonie d’Indochine où  pouvoir et corruption ont dépossédé une femme de ses biens, terre, maison, réputation, raison.  La ruine est autant morale que matérielle et les enfants de Sadec ne sont plus soumis aux mêmes codes que les autres enfants blancs. La relation entre le Chinois et la jeune fille, « l’enfant », disait Duras, histoire improbable dans d’autres circonstances, peut alors naître.
 
 

« Quinze ans et demi. La chose se sait très vite dans le poste de Sadec. Rien que cette tenue dirait le déshonneur. La mère n’a aucun sens de rien, ni celui de la façon d’élever une petite fille. La pauvre enfant ? Ne croyez pas, ce chapeau n’est pas innocent, ni ce rouge à lèvres, tout ça signifie quelque chose, ce n’est pas innocent, ça veut dire, c’est pour attirer les regards, l’argent. Les frères, des voyous. On dit que c’est un chinois, le fils du milliardaire, la villa du Mékong, en céramiques bleues. Même lui, au lieu d’en être honoré, il n’en veut pas pour son fils. Famille de voyous blancs. »  Extrait de L’amant, pages 108-109
 
C’est un an après que je m’associe à l’hommage rendu à un écrivain hors norme - mon blog a seulement quelques mois d’existence - et à son œuvre littéraire, théâtrale, cinématographique, construction de toute une vie. De la musique Moderato cantabile, au testament Ecrire.
 
 
Duras, c’est encore les lieux d’inspiration, les refuges, selon les époques. L’appartement de la rue Saint Benoît, la Maison de Neauphle-le-Château, Trouville et les Roches Noires. Les maisons comptaient beaucoup. Des maisons, comme une consolation à la perte de la toute première, « la maison-mère ».
 
Car derrière la femme mûre aux célèbres cols roulés, à la voix rocailleuse, il subsistait toujours la petite fille de Sadec. La jeune fille du « bac sur le Mékong ».
Hantée à jamais par l’image d’une mère luttant pour sauver quelques débris des assauts de la mer de Chine, de l’avidité des hommes.
Hantée aussi par l’absence d’un père  
 
Lacan disait de Duras : « Elle s’avère savoir sans moi ce que j’enseigne. »
Et Duras de Lacan : « J’étais abasourdie par Lacan. Et par cette phrase de Lacan  Elle ne doit pas savoir ce qu’elle écrit. Parce qu’elle se perdrait. Et ça serait catastrophique. C’est  devenu pour moi, cette phrase, comme une sorte d’identité de principe, d’un droit de dire totalement ignoré par les femmes. »
 
Immortelle Duras ? Peut-être pas, mais en ces premiers jours de mars où l’on s’apprête à célébrer la Journée internationale pour les droits des femmes, moderne et essentielle.

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