mercredi 18 mars 2015

Elise ou la vraie vie

C’est l’histoire d’un livre, lu il y a des années. L’histoire d’une jeune bordelaise venue à Paris en quête d’une vie différente. Sur les traces d’un frère. Venue vivre la vie des travailleurs d’usine, en banlieue. A l’époque de la guerre d’Algérie.
Dans les ateliers de montage chez Renault, et au travail, postée, côte à côte, Elise rencontrera d’autres frères. Parmi eux, Arezki. Avec lui, la découverte d’un quotidien harassant, mais aussi d’une relation amoureuse forte, et « interdite ».
 
Je l’ai très longtemps gardé dans ma bibliothèque, ce livre, au fil des déménagements.
En collection de poche, avec sur la couverture la photo de Marie-José Nat, qui incarna Elise au cinéma. Visage grave, cheveux lissés, en bandeaux, regard noir et pénétrant. Un visage qui, dans ma mémoire, se confond avec celui d’une prof de français  de 4ème … C’est elle qui nous avait fait connaitre le parcours d’Elise.
 
Avec le recul, je me dis que ce choix était audacieux. Ce qui m’avait marqué alors, c’était la dureté de la vie ouvrière, la fatigue, usante comme le bruit de la chaîne. Cet épisode- un détail en apparence- la narratrice racontant les matins blêmes où l’on enfile des bas encore raidis par la sueur de la veille, avant de retourner travailler…
Et la discrimination, celle des collègues, celle de la police. « Une française et un arabe » ensemble, plus qu’un parfum de scandale…
 
Elise sera montrée du doigt, moquée, traquée, mais elle tiendra bon. Mue par  l’amour et l’esprit de solidarité. Dans la famille, le militant c’est son frère mais elle partage son idéal. S’identifie à sa révolte. Malgré les tiraillements, la difficulté à vivre cette histoire-là. En partie cachée.
Arezki sera finalement arrêté et les amants séparés. Elise rentrera à Bordeaux.
"La vraie vie n’aura duré que neuf mois."
 
Que reste t-il de ce livre, paru en 1967 ? J’ai essayé de me procurer le film de Michel Drach pour mettre des images sur les mots. Introuvable. Un film, qui depuis sa sortie en 1970, n’a pas dû beaucoup passer à la télé, en prime time en tous cas.
Pourtant, des questions posées par Claire Etcherelli, certaines sont encore d’actualité.
La xénophobie, savamment entretenue, est toujours là. En temps de crise comme en temps de guerre, la stratégie du bouc émissaire, de l’étranger.
 
Comment ne pas ressentir d’inquiétude à la veille d’élections départementales qui risquent de faire la part belle au Front National. En voie de banalisation. Pourtant, le profil de certains de ses candidats affichant racisme ordinaire et antisémitisme  devrait alerter l’opinion…
 
A posteriori, je me dis que si un livre a agi sur moi comme un révélateur, c’est sans doute possible pour d’autres. On ne dira jamais assez à quel point nos lectures d’adolescence façonnent notre identité future, notre conscience sociale et politique. Il faut encourager les enseignants qui participent à cette construction individuelle. Merci à Madame Arnould -c’était ma prof de collège… Et soutenir les réformes de l’éducation, le socle commun de connaissances, et l’accent mis sur la citoyenneté, l’apprentissage du vivre ensemble. Pour gagner, non pas des élections, mais gagner collectivement.
 
La vraie vie peut-être ? Le tout étant, comme le dit Lucien à sa sœur Elise :
 
"Un jour commencera la vraie vie…
Le principal, c’est d’y arriver intact."
 
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