Le texte qui
suit est de Victor Hugo. Je l’avais repris en préambule d’une commission petite
enfance et parentalité du conseil local de santé mentale où était abordé le
thème des migrants, notamment de la difficulté de recours et d’accès aux soins
pour ces personnes en grande précarité, parfois rescapées de catastrophes humanitaires. Car, celui qui a
écrit les Misères avant d’en faire ses Misérables,
a toujours gardé intact son pouvoir d’empathie :
« Les exilés sont épars ;
la destinée a des souffles qui dispersent les hommes comme une poignée de
cendres. Les uns sont en Belgique, en Piémont, en Suisse, où ils n’ont pas la
liberté ; les autres sont à Londres, où ils n’ont pas de toit. Celui-ci,
paysan, a été arraché à son clos natal ; celui-ci, soldat, n’a plus que le
tronçon de son épée qu’on a brisée dans sa main ; celui-ci, ouvrier,
ignore la langue du pays, il est sans vêtements et sans souliers, il ne sait
pas s’il mangera demain ; celui-ci a quitté une femme et des enfants,
groupe bien-aimé, but de son labeur, joie de sa vie ; celui-ci a un vieux
père qui mourra sans l’avoir revu ; cet autre aimait, il a laissé derrière
lui quelque être adoré qui
l’oubliera ; ils lèvent la tête, ils se tendent la main les uns aux
autres, ils sourient (…) Ils souffrent, ils se taisent ; en eux le
citoyen a immolé l’homme ; ils regardent fixement l’adversité, ils ne
crient même pas sous la verge impitoyable du malheur. »
L’abime est à nos pieds, aux portes de l’Europe, et
fermer nos frontières n’y changera rien. La fraternité n’est pas l’apanage de
la religion, elle est inscrite aux frontons de nos bâtiments, au cœur de la
République. L’Aquarius et ses migrants à
la dérive, ballottés d’une rive à l’autre de la Méditerranée, nous l’ont rappelé cette semaine encore. L’homme
est un migrant. De tous temps. Guidé par l’instinct de survie qui le gouverne. Avide
de découvrir de nouveaux horizons, de partir à la recherche d’un ailleurs plus
hospitalier, malgré les dangers qui le guettent en chemin. Un passant qui
traverse l’Histoire, toujours en mouvement. Un peu comme cette pauvre Bécassine
qui, bien malgré elle, fait polémique aujourd’hui, autour de la sortie du dernier
film de Denis Podalydès. En effet, combien de jeunes femmes au vécu similaire à l’heure
où la Bretagne, et d'autres régions encore enclavées, restaient éloignées du progrès économique ?
Exploitées, souvent, abusées, parfois, ces Bécassines de l’ombre, propulsées
bonnes à tout faire à Paris, illustrent aussi bien une figure sociale de la
France du début du 20ème siècle : celle des inégalités de
territoire qui poussaient les paysans à migrer vers la capitale, attirés par Les lumières de la ville. Une France chaussée
de sabots face à une autre France bien mise et en souliers fins.
Un jour, une
amie, engagée dans une grande association lyonnaise, et qui se reconnaitra
peut-être, m’a dit que pour elle, restaurer la dignité humaine, c’était
permettre à chacune, chacun, d’avoir une
paire de bottes à soi. Une simple paire de bottes pour ne plus ressentir le
froid, l’humidité, ou bien le sol brûlant et aride d’une terre trop longtemps privée
d’eau. Certains en auront peut-être de plus belles, de plus finement
travaillées, ou portant une marque célèbre, mais en finir avec les « va
nu-pieds », tel était son leitmotiv. Pas combattre, mais détruire la
misère, comme le proclamait déjà Victor Hugo. Une phrase toujours d’actualité.
Ne l’oublions pas et chaussons des bottes de sept lieues pour réduire
cette fracture, cet écart qui ne cesse de croitre entre ceux qui ont tout et
ceux qui n’ont rien. Le temps presse … et il nous faut presser plus encore ceux
qui président à nos destinées et à celle d’un continent désuni.
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