Episode 2 : Zilli e figli
Plus tôt le matin, tous étaient réunis devant la « Grande
Madre » à la Guillotière pour rendre hommage aux soldats disparus, ceux de
14-18, inhumés en terre italienne, petite enclave au cœur du cimetière
lyonnais, selon la volonté d’Edouard Herriot. Moment de recueillement, en amont
des cérémonies du 11 novembre.
En Italie, c’est le 4 la date officielle. Ici, l’automne
n’en finit plus de rougeoyer et sur les tombes alentour, les plantes de la toussaint,
mauves, pourpres, or, ont fleuri, mêlant les défunts dans une mémoire
collective.
Le froid ne se fait pas encore mordant. Octobre
s’achève en douceur cette année, tapis de feuilles sous les pas.
Samedi 31. Demain c’est jour férié, alors on peut bien
prolonger le plaisir d’être ensemble. C’est ce que semblent dire les sourires des
convives, déambulant autour du buffet d’antipasti et de « dolci ». Je
partage leur belle humeur.
Parmi les petits groupes attablés, un homme me fait
signe, amicalement. Il connaît mon intérêt pour la Maison des Italiens, a lu
l’article que j’y avais consacré l’an dernier… Il me dit :
- « Vous connaissez sans doute la marque Zilli ».
Son œil brille. J’acquiesce en précisant ne pas porter
de vêtements de cette griffe. Il rit et poursuit :
- « Aucune importance. D’ailleurs, la spécialité
de la marque est plutôt le vestiaire masculin. Je n’avais pas l’intention de
vous faire l’article vous savez, plutôt l’envie de vous raconter une histoire,
en l’occurrence celle du fondateur de Zilli. C’était mon père… »
Comment refuser… Le temps s’efface et me voilà
transportée dans les années d’après-guerre. Le fils Zilli a le sens de la
narration et l’éloquence facile :
- « Téofilo, dit Téo, était un immigré italien
parmi d’autres. Il est venu tenter sa chance, ici, en France avec pour tout
bagage ou presque, ses ciseaux en poche. La marque du savoir-faire dans les
premières pièces découpées et un amour des belles matières (déjà) l’avaient
fait remarquer dans le métier. Un ami, établi à Paris, lui avait conseillé de
le rejoindre... Mais à l’heure du départ, c’est à pieds qu’il lui a fallu traverser
le col du Petit Saint Bernard depuis son
Frioul natal. Toute une aventure pour passer de l’autre côté… Arrivé clandestinement
à Lyon, il a d’abord dû transiter par le Centre Lumière, avenue Lacassagne, là
où se retrouvaient les étrangers, les sans-papiers... Rapidement, il réussit à
se faire embaucher chez un tailleur lyonnais. Il ne manquera jamais de travail
par la suite, gravissant les échelons dans plusieurs maisons de couture, avant
de franchir une nouvelle étape en
s’installant à son compte.»
« Au début l’atelier était rue de Créqui, plus tard ce fût Montchat le siège officiel. Je crois que ce quartier ne vous est pas inconnu… » me glisse Bernard Zilli d’un air entendu, avant de poursuivre :
« Au début l’atelier était rue de Créqui, plus tard ce fût Montchat le siège officiel. Je crois que ce quartier ne vous est pas inconnu… » me glisse Bernard Zilli d’un air entendu, avant de poursuivre :
- « C’était en 1965. La Maison, 26 Cours
du Docteur Long abritait des trésors : soie, fourrures, alpaga, cachemire,
vigogne, chevreau, pécari. Ceux qui y sont passés en parlent encore avec
émotion. Questionnez autour de vous, vous verrez … »
Il complète :
« Chaque blouson
de cuir ou paire de chaussures était livré dans un emballage aussi précieux que le modèle. Le
raffinement dans le moindre détail et dans les finitions comme ces impressions
de soie à motifs, n’ayant rien à envier aux célèbres carrés Hermès. Les clients
venaient de loin pour s’offrir du Zilli et appréciaient l’essayage unique. L’œil
du maître était exceptionnel et s’y refléter un privilège ! »
Petite pause de mon interlocuteur pour reprendre son
souffle et accessoirement boire une gorgée de vin (sans doute un cru italien).
Je le sens fier, et un peu mélancolique à la fois.
Il replonge à nouveau dans ses souvenirs :
-
« Mon père n’était pas un homme d’affaires
à proprement parler, plutôt un artiste ambitieux. Il avait en revanche la
passion de l’innovation, et mettait la technique au service de ses idées. Je le
voyais à l’œuvre... Sa machine à coudre était un prototype, une petite
merveille ! Je me souviens aussi qu’il avait inventé un procédé pour
coller les peaux sans risquer de les tâcher. C’était un précurseur, pas un
capitaine d’industrie. Et puis il y avait la maladie qui le rattrapait à
intervalles réguliers. La famille Schimel avec laquelle il s’était associé a
repris le nom. La suite est bien connue : Zilli en lettres d’or dans les
capitales les plus prestigieuses. Paris, c’était le rêve de mon père, depuis
toujours ! De ce point de vue, il a été exaucé, et même au-delà… A Lyon, il est resté les ateliers. Mon père
aimait bien y retourner et il était très fier de l’essor des établissements. Les
Schimel ont su faire grandir Zilli, en faire une vitrine. Mon père, lui, avait
écrit le début de l’histoire. Vous vous rendez compte qu’à près de 90 ans, il
continuait à créer, à inventer des modèles…»
La voix de Bernard Zilli se fait plus hésitante, comme
voilée :
-
« Toute
cette histoire, des débuts en Italie à la rencontre avec la France, d’autres que moi en ont parlé dans les
récits des frioulans. Ses compagnons de route. L’amitié, c’était sacré pour mon
père. Presque une religion… Il repose désormais en paix au cimetière de la
Guillotière. Nous y étions ce matin, alors je me suis dit que c’était le bon
jour pour vous raconter tout ça… »
Je suis impressionnée. Et parviens à dire combien j’ai
trouvé son récit captivant :
« Quel personnage
ce Téo, si je peux me permettre d’utiliser son diminutif. J’aurais beaucoup aimé
le connaître. Vraiment. Je serai ravie d’en apprendre plus sur votre père... Une autre fois peut-être ? Sa
vie pourrait bien inspirer un livre, vous savez, ou même un film. Pas un biopic, trop tendance, même
la papauté s’en mêle aujourd’hui ! ». Le ton de la conversation redevient
plus léger :
- « Pourquoi
pas ? Si vous y avez trouvé de l’intérêt, d’autres y seront sensibles
également… En effet, mon père n’était pas un sujet ordinaire... Et puis j’ai
encore beaucoup d’anecdotes en réserve. Mais assez parlé du passé pour
aujourd’hui ! La vie doit reprendre son cours… »
Je poursuis en pensée : oui, pourquoi pas des
images pour ressusciter l’histoire d’un petit tailleur italien très doué, trop
peut-être, et dont le nom est devenu un symbole dans l’univers de la mode. Il
faudrait aller jusqu’à Borgo Zilli, non loin de San Daniele, le point de départ…
Daniel, c’est aussi le prénom de mon grand-père. Il n’était pas frioulan mais
toscan. Peu importe : les racines, toujours un fameux héritage.
Et puis se rendre à Paris, au cœur du triangle d’or où
Zilli a son nom, gravé. Son Panthéon à lui…
Quelqu’un m’arrache à ma rêverie. Tout autour, les
groupes de dispersent petit à petit.
De retour chez moi, je me lance dans une recherche sur
Téofilo Zilli et je découvre qu’il est né un 31 octobre. Simple coïncidence ou
esprit malicieux à l’origine de la conversation du jour …
Magnifique article.
RépondreSupprimerTeofilo Zilli était mon grand oncle et que c'est bon de le voir en photo 5 ans après son départ ..
Bernard, mon cousin a fait un magnifique récit ...
Mon tonton restera gravé dans nos mémoires et mes souvenirs de petite fille à ses cotés resurgissent regulièrement.. notamment lorsqu'il était entrain de travailler le cuir ...
Qu'il repose en paix .. On ne l'oubli pas ..
Chère Madame, vous avez la plume d'un écrivain. Avez-vous déjà publié des ouvrages?
RépondreSupprimerPaolo C.
Je vous remercie. A vrai dire, je travaille en ce moment sur un texte de fiction et une nouvelle. Ce qui m'oblige à mettre mon blog entre parenthèses mais j'y reviendrai sans doute ! Belle journée à vous.
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