Le temps des vacances, ou de la traditionnelle pause
estivale, est pour beaucoup un temps suspendu, entre une année de travail écoulée
et la rentrée. Comme pour l’année civile, cette période symbolise le passage à
une nouvelle année.
Cet été, j’ai eu la chance de prendre de vraies vacances
en Bretagne et sur les îles anglo-normandes, de l’Atlantique à la Manche, entre
deux mers.
A Groix tout d’abord, où pendant deux semaines, j’ai vécu comme beaucoup d’insulaires, sans voiture et au
rythme de la navette, appelée "courrier", qui relie l’île à Lorient. Et au gré de
la marée, comme toujours en Bretagne… Un vrai plaisir que de se balader à vélo,
sans les contraintes de la circulation citadine, ou en canot tout autour de l’île.
Et la surprise de découvrir, au détour des rues du bourg, que l’immigration
italienne y avait été assez importante dans les années 30. Bretagne, terre
d’accueil ! En témoignent les façades de certaines maisons refaçonnées à
l’italienne avec des couleurs vives. Un peu comme à Lyon…
Autre plaisir des vacances, la lecture… de vrais
livres ! Tout au long de l’année, je lis comme je peux, surtout des
articles, des publications, des blogs aussi… Prendre le temps de lire un roman est presque un luxe ! Et lire au dehors, souvent
au soleil - car oui, il
fait beau en Bretagne ! - c’est déjà un dépaysement. J’ai ainsi navigué de Bon
petit soldat de Mazarine Pingeot, à Roses
à crédit et Les amants d'Avignon d'Elsa Triolet, en passant par Le cercle littéraire des
amateurs de tourtes aux épluchures de patates de Guernesey pour aboutir à des retrouvailles avec un monument de la littérature: Victor Hugo.
Hugo donc, dont
on connaît l’exil sous Napoléon III pour "délit d’opinion".
A Guernesey, qui l’a finalement accueilli après une escale à Jersey, il a construit
un univers
non seulement d’expatrié, mais de créateur. Car Hugo, au-delà de
l’homme de lettres, de l’ardent républicain, et du politique visionnaire dont l’héritage
nous inspire encore, est un artiste qui
transforme toute matière. La preuve avec cette maison de l'exil dont il a entièrement
conçu la décoration et avec quelle maestria ! Partout, et même à l’intérieur
des portes de placard, s’inscrit la marque du génie hugolien…La visite de
cette maison est un émerveillement et une rencontre intime avec le grand hommequi du haut de son "look out", pouvait par temps clair contempler les côtes de France.
C’est là qu’il avait installé sa chambre et son poste de travail. Un peu à la manière d’un gardien de phare…

Souvent
représenté dans des films mettant en scène Les Misérables ou Notre Dame
de Paris, il faut lire ou relire Hugo, des Contemplations, à
son théâtre; la pièce de David Bobée,
adaptation de Lucrèce Borgia, est un des grands spectacles de la saison,
et je ne regrette pas de l’avoir vue fin juin à Grignan, sous une pluie d’orage
mémorable et prophétique de l’été qui a suivi…

C’est là qu’il avait installé sa chambre et son poste de travail. Un peu à la manière d’un gardien de phare…
Pour ma part, j’ai eu l’occasion d’y venir deux fois.
Il y a une quinzaine d’années avec mes enfants lors d’un "séjour découverte
du Cotentin et des plages du débarquement" au cours duquel nous avions
fait la traversée jusqu’à St Peter Port et cette ancienne terre normande. Et en ce mois de juillet 2014, avec pour particularité cette fois-ci, d’avoir
fait la visite guidée par ma propre fille ! Camille y travaille pour la
saison. L’hiver dernier, elle a littéralement flashé sur une offre d’emploi à la
Maison de Victor Hugo
à Guernesey (Hauteville House est gérée par les Musées de la Ville de Paris). Pas vraiment un hasard finalement…et pour moi un rendez-vous car je ne pouvais pas passer l’été sans revenir à Guernesey. C’est dans cette maison qu’Hugo a écrit Les travailleurs de la mer et c’est avec ce livre que s’est achevé mon cycle de lectures estivales.
Point commun entre ces livres et leurs auteurs : un certain idéal de résistance. Face à l’occupation allemande à Guernesey, des habitants de l’île organisent un cercle de lecture qu’ils poursuivront avec bonheur après la guerre. Elsa Triolet, figure de la résistance avec Louis Aragon, a connu l’occupation en zone sud. Elle racontera cette expérience dans son recueil de nouvelles Le premier accroc coûte 200 francs dont sont extraits Les amants d’Avignon. Livre qui lui a valu le prix Goncourt en 1946.
Et Victor Hugo, "l’élu du peuple", a
résisté à l’Empire jusqu’à être exilé de France près de 20 longues années…
Le monde d’aujourd’hui va mal et le ciel de cet
été 2014 aura été cruel : guerre à Gaza, en Ukraine, en Irak, avec à la
clef des victimes civiles, intolérables ; accidents d’avions à répétition
et aussi un temps semé d’orages violents, reflet d’un climat perturbé au propre
comme au figuré.
Pessimiste non, réaliste oui. Au-delà de la paix promise de la trêve estivale, comment oublier la terrible réalité de toutes ces guerres. Etre élu(e) de la République, c’est bien se poser la question de la justice, ici et ailleurs, et c’est le dire ou l'écrire, modestement pour ma part.
Oui, je partage
assurément la vision d’Elisabeth Roudinesco quand elle dit que "le peuple
le plus persécuté de l’histoire, après avoir créé un état sur sa terre promise,
est à son tour devenu persécuteur (…) C’est
une véritable tragédie juive". (Propos extraits d’une interview intitulée L’antisémitisme
matrice de tous les racismes publiée dans Télérama le 2 août 2014). Elisabeth
Roudinesco, historienne et psychanalyste, juive d’origine roumaine, connait bien le sujet...Soyons clairs, pas de confusion entre, d’une part et je cite "la politique d’escalade israélienne", et l’antisémitisme d’autre part.
"Même en Israël il existe une opposition à cette politique, bien qu’elle
soit écrasée par une sorte de sursaut national, surtout en temps de
guerre." précise encore Elisabeth Roudinesco. Le cinéaste israélien, Amos
Gitai, a bien dû s’exiler en France, de 1983 à 1993, pour s’être ouvertement
opposé à l’invasion du Liban en 1982.
Pessimiste non, réaliste oui. Au-delà de la paix promise de la trêve estivale, comment oublier la terrible réalité de toutes ces guerres. Etre élu(e) de la République, c’est bien se poser la question de la justice, ici et ailleurs, et c’est le dire ou l'écrire, modestement pour ma part.

Alors, en cette presque rentrée, je me plais à penser
que les livres ne sont pas de simples refuges ou des moments d’évasion mais bien
des points de repère, des phares comme dans le poème éponyme de Baudelaire. Ces
mêmes livres qui de tous temps suscitent la haine des dictateurs. Un de mes
professeurs de français avait pour habitude de terminer son cours par la fameuse
phrase attribuée à Beaumarchais : "Lisez, lisez, il en restera
toujours quelque chose… "
Souhaitons aussi que la jeunesse puisse acquérir, non
pas le savoir pour le savoir, mais pour apprendre à penser par elle-même. C’est
là le secret d’une éducation réussie. Victor Hugo le disait déjà :
"L’éducation de l’enfant a pour finalité la conquête de la liberté, ce
qui suppose l’émancipation de ses trois maîtres : le père de famille, le prêtre, le maître d’école lui-même. " Citation à remettre dans le contexte du 19ème siècle, soit peu de femmes sur le devant de la scène, même si Hugo était un partisan du suffrage universel étendu aux femmes.

En attendant, je vais essayer de reprendre la lecture
avec Il faut que je vous dise quelque chose de Louis Mermaz,
ancien maire de Vienne, et compagnon de route de François Mitterrand.
Rendez-vous en septembre !
![]() |
Phare de Pen Men - Ile de Groix |
Hugo, que l'on se représente souvent comme un vieil homme austère, était en fait un bon vivant.
RépondreSupprimerC'est une belle ode à la lecture ! Tu as bien fait d'en profiter car, en cette fin août, le temps semble brusquement s'accélérer et l'actualité nous rattrape...
RépondreSupprimer